Page:Platon - Apologie de Socrate ; Criton ; Phédon (trad. Chambry), 1992.djvu/119

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— Tu sais, dit-il, que tous les autres hommes comptent la mort au nombre des grands maux ?

— Assurément, répondit Simmias.

— Or n’est-ce pas dans la crainte de maux plus grands que ceux d’entre eux qui ont du courage supportent la mort, quand ils ont à la supporter ?

— C’est exact.

— C’est donc par peur et par crainte qu’ils sont tous courageux, hormis les philosophes. Et pourtant il est absurde d’être brave par peur et par lâcheté.

— Assurément.

— N’en est-il pas de même pour ceux d’entre eux qui sont réglés ? C’est par une sorte de dérèglement qu’ils sont tempérants. Nous avons beau dire que c’est impossible, leur niaise tempérance n’en revient pas moins à cela. C’est parce qu’ils ont peur d’être privés d’autres plaisirs dont ils ont envie qu’ils s’abstiennent de certains plaisirs pour d’autres qui les maîtrisent. Ils appellent bien intempérance le fait d’être gouverné par les plaisirs, cela n’empêche pas que c’est parce qu’ils sont vaincus par certains plaisirs qu’ils en dominent d’autres. Et cela revient à ce que je disais tout à l’heure, que c’est en quelque manière par dérèglement qu’ils sont devenus tempérants.

— Il le semble en effet.

— Bienheureux Simmias, peut-être n’est-ce pas le vrai moyen d’acquérir la vertu, que d’échanger voluptés contre voluptés, peines contre peines, craintes contre craintes, les plus grandes contre les plus petites, comme si c’étaient des pièces de monnaie ; on peut croire, au contraire, que la seule bonne monnaie contre laquelle il faut échanger tout cela, c’est la sagesse, que c’est à ce prix et par ce moyen que se font les achats et les ventes réels, et que le courage, la tempérance, la justice, et, en général, la vraie vertu s’acquièrent avec la sagesse, peu importe qu’on y ajoute ou qu’on en écarte les plaisirs, les craintes et toutes les autres choses de ce genre. Si on les sépare de la sagesse et si on les échange les unes contre les autres, une telle vertu n’est plus qu’un trompe-l’œil, qui ne convient en réalité qu’à des esclaves et qui n’a rien de sain ni de vrai. La vérité est en fait une purification de toutes ces passions, et la tempérance, la justice, le courage et la sagesse elle-même sont une espèce de purification. Je m’imagine que ceux qui ont établi les mystères à notre intention n’étaient pas des