Page:Platon - Apologie de Socrate ; Criton ; Phédon (trad. Chambry), 1992.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pas, et dans mille autres circonstances nous voyons l’âme s’opposer aux passions du corps. N’est-ce pas vrai ?

— Tout à fait vrai.

— D’un autre côté, ne sommes-nous pas tombés d’accord précédemment que l’âme, si elle’ était une harmonie, ne saurait être en dissonance avec les tensions, les relâchements, les vibrations et autres états des éléments qui la composent, mais qu’elle les suivrait et ne saurait jamais les commander ?

— Nous en sommes tombés d’accord, dit-il ; comment faire autrement ?

— Eh bien, ne voyons-nous pas à présent qu’elle fait tout le contraire, qu’elle dirige tous ces éléments dont on prétend qu’elle est formée, qu’elle les contrarie presque en tout pendant toute la vie et qu’elle les maîtrise de toutes façons, infligeant aux uns des châtiments plus pénibles et plus douloureux, ceux de la gymnastique et de la médecine, aux autres des traitements plus doux, menaçant ceux-ci, admonestant ceux-là, et parlant aux passions, aux colères, aux craintes, comme si, différente d’elles, elle parlait à des êtres différents ? C’est ainsi qu’Homère a représenté la chose dans l’Odyssée, où il dit qu’Ulysse, Se frappant la poitrine, gourmanda son cœur en ces termes :

« Supporte-le, mon cœur ; tu as déjà supporté des choses plus révoltantes. »

Crois-tu qu’en composant ces vers, il pensât que l’âme était une harmonie, faite pour se laisser conduire par les affections du corps ? Ne pensait-il pas plutôt qu’elle était faite pour les conduire et les maîtriser, et qu’elle était elle-même une chose beaucoup trop divine pour être une harmonie ?

— Par Zeus, Socrate, c’est bien mon avis.

— Ainsi donc, mon excellent ami, il ne nous sied en aucune manière de dire que l’âme est une espèce d’harmonie ; car nous ne serions d’accord, tu le vois, ni avec Homère, ce poète divin, ni avec nous-mêmes.

— C’est vrai, dit-il.

XLIV. — C’en est fait, reprit Socrate : Harmonie la thébaine nous est devenue, ce semble, assez propice ; mais Cadmos, Cébès, continua-t-il, comment le gagner et par quel argument ?

— Je suis sûr que tu le trouveras, dit Cébès ; en tout cas, ton argumentation contre l’harmonie a merveilleusement