Page:Platon - Apologie de Socrate ; Criton ; Phédon (trad. Chambry), 1992.djvu/163

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qui est en nous n’admet jamais la petitesse et ne veut pas être dépassée. Mais de deux choses l’une, ou bien elle fuit et se retire, quand son contraire, la petitesse, s’avance vers elle, ou bien, quand celui-ci s’est approché, elle périt. Elle ne veut pas, en admettant et recevant la petitesse, devenir autre chose que ce qu’elle était. C’est ainsi que moi, ayant reçu et admis la petitesse sans cesser d’être ce que je suis, je suis le même homme petit ; mais la grandeur, étant grande, ne s’est jamais résolue à être petite. De même la petitesse qui est en nous se refuse toujours à devenir et à être grande, et aucun des autres contraires, étant encore ce qu’il était, ne veut en même temps devenir ni être son contraire, mais ou bien il se retire, ou il périt quand l’autre arrive.

— C’est exactement ce qui m’en semble, dit Cébès. »

LI. — À ces mots, quelqu’un de la compagnie — qui c’était, je ne m’en souviens pas exactement — prit la parole : « Au nom des dieux, n’avez-vous pas admis précédemment juste le contraire de ce que vous soutenez à présent, que le plus grand naît du plus petit et le plus petit du plus grand, et que c’est précisément ainsi qu’a lieu la naissance des contraires : ils sortent des contraires ? Or à présent il me semble que vous soutenez que cela ne saurait jamais arriver. »

En l’entendant, Socrate tourna la tête et dit : « Tu es un brave, de nous avoir rappelé cela. Cependant tu ne saisis pas la différence qu’il y a entre ce que nous disons maintenant et ce que nous avons dit tantôt. Tantôt nous avons dit qu’une chose contraire naît de celle qui lui est contraire ; mais à présent nous disons que le contraire lui-même ne saurait jamais être contraire à lui-même, ni le contraire qui est en nous, ni celui qui est dans la nature. C’est que tantôt, mon ami, nous parlions des choses qui ont des contraires, choses que nous désignons par le nom de ces contraires, tandis qu’à présent il est question de ces contraires mêmes, de l’immanence desquels les choses tirent leur nom : c’est ces contraires en soi qui, selon nous, ne consentiraient jamais à naître les uns des autres... »

Et ce disant, il regarda Cébès et lui dit : « N’as-tu pas été troublé toi aussi, Cébès, par l’objection de notre ami ?

— Non, dit Cébès, ce n’est pas mon cas. Cependant je ne veux pas dire que je ne sois souvent troublé.