Page:Platon - Apologie de Socrate ; Criton ; Phédon (trad. Chambry), 1992.djvu/170

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aubaine ce serait pour les méchants d’être en mourant débarrassés tout à la fois de leur corps et de leur méchanceté en même temps que de leur âme ! Mais maintenant que nous savons que l’âme est immortelle, il n’y a pas pour elle d’autre moyen d’échapper à ses maux et de se sauver que de devenir la meilleure et la plus sage possible ; car, en descendant chez Hadès, elle ne garde avec elle que l’instruction et l’éducation, qui sont, dit-on, ce qui sert ou nuit le plus au mort, dès le moment où il part pour l’autre monde.

On dit en effet qu’après la mort, le démon que le sort a attaché à chaque homme durant sa vie se met en devoir de le conduire dans un lieu où les morts sont rassemblés pour subir leur jugement, après quoi ils se rendent dans l’Hadès avec ce guide qui a mission d’emmener ceux d’ici-bas dans l’autre monde. Lorsqu’ils y ont eu le sort qu’ils méritaient et qu’ils y sont restés le temps prescrit, un autre guide les ramène ici, après de nombreuses et longues périodes de temps. Mais le voyage n’est pas ce que dit le Télèphe d’Eschyle. Il affirme, lui, que la route de l’Hadès est simple ; moi, je pense qu’elle n’est ni simple, ni unique ; autrement, on n’aurait pas besoin de guides, puisqu’on ne pourrait se fourvoyer dans aucun sens, s’il n’y avait qu’une route. Il me paraît, au contraire, qu’il y a beaucoup de bifurcations et de détours, ce que je conjecture d’après les cérémonies pieuses et les rites pratiqués sur la terre. Quoi qu’il en soit, l’âme réglée et sage suit son guide et n’ignore pas ce qui l’attend ; mais celle qui est passionnément attachée au corps, comme je l’ai dit précédemment, reste longtemps éprise de ce corps et du monde visible ; ce n’est qu’après une longue résistance et beaucoup de souffrances, qu’elle est entraînée par force et à grand-peine par le démon qui en est chargé. Arrivée à l’endroit où sont les autres, l’âme impure et qui a fait le mal, qui a commis des meurtres injustes ou d’autres crimes du même genre, frères de ceux-là et tels qu’en commettent les âmes de même famille qu’elle, voit tout le monde la fuir et se détourner d’elle ; personne ne veut ni l’accompagner ni la guider ; elle erre seule, en proie à un grand embarras, jusqu’à ce que certains temps soient écoulés, après lesquels la nécessité l’entraîne dans le séjour qui lui convient. Au contraire, celle qui a vécu toute sa vie dans la pureté et la tempérance et qui a eu le bonheur d’être accompagnée et guidée par les dieux a trouvé tout de suite la résidence qui lui est réservée.