Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/41

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ent ces deux êtres : la Terre et Éros . D’un autre côté Parménide dit de la Génération : «  Elle songea à Éros avant tous les dieux. » Acousilaos (13) est du même sentiment qu’Hésiode. C’est ainsi que l’on s’accorde de différents côtés à voir dans Éros un des plus anciens dieux. Ce dieu si ancien est aussi un grand bienfaiteur pour l’humanité ; car je ne connais pas de plus grand bien pour un homme, dès qu’il entre dans l’adolescence, qu’un amant vertueux et pour un amant qu’un ami vertueux. Car il est un sentiment qui doit gouverner toute notre conduite, si nous voulons vivre honnêtement ; or ce sentiment, ni la parenté, ni les honneurs, ni les richesses, ni rien ne peut nous l’inspirer aussi bien que l’amour. Et qu’est-ce que j’entends par là ? C’est la honte du mal et l’émulation du bien ; sans cela, ni État , ni individu ne peut rien faire de grand ni de beau. Aussi j’affirme qu’un homme qui aime, s’il est surpris à commettre un acte honteux ou à supporter lâchement un outrage, sans se défendre, souffre moins d’être vu par un père, un camarade ou qui que ce soit que par celui qu’il aime ; et nous voyons de même que le bien-aimé ne rougit jamais si fort que devant ses amants, quand il est surpris à faire quelque chose de honteux. Si donc il y avait moyen de former un État ou une armée d’amants et d’aimés, on aurait la constitution idéale, puisqu’elle aurait pour base l’horreur du vice et l’émulation du bien, et s’ils combattaient ensemble, de tels hommes, en dépit de leur petit nombre, pourraient presque vaincre le monde entier. Un amant en effet aurait moins de honte d’abandonner son rang ou de jeter ses armes sous les regards de toute l’armée que sous les regards de celui qu’il aime ; il aimerait mieux mourir mille fois que de subir une telle honte. Quant à abandonner son ami ou à ne pas le secourir dans le danger, il n’y a point d’homme si lâche qu’Éros ne suffît alors à enflammer de courage au point d’en faire un vrai héros, et vraiment, ce que dit Homère, « que le dieu soufflait la vaillance à certains héros (14) », Éros le fait de lui-même à ceux qui aiment.

VII. — Il est certain que les amants seuls savent mourir l’un pour l’autre, et je ne parle pas seulement des hommes, mais aussi des femmes. La fille de Pélias, Alceste, en fournit à la Grèce un exemple probant : seule elle consentit à mourir pour son époux, alors qu’il avait son père et sa mère (15), et son amour dépassa de si loin leur