Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/65

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XXII. — Mais je te laisse, toi, pour vous réciter le discours sur l’Amour que j’ai entendu jadis de la bouche d’une femme de Mantinée, Diotime (45) laquelle était savante en ces matières et en bien d’autres. C’est elle qui jadis avant la peste fit faire aux Athéniens les sacrifices qui suspendirent le fléau pendant dix ans ; c’est elle qui m’a instruit sur l’amour, et ce sont ses paroles que je vais essayer de vous rapporter, en partant des principes dont nous sommes convenus, Agathon et moi ; je le ferai, comme je pourrai, sans le secours d’un interlocuteur (47). Il faut que j’explique, comme tu l’as fait toi-même, Agathon, d’abord la nature et les attributs de l’Amour, ensuite ses effets. Le plus facile est, je crois, de vous rapporter l’entretien dans l’ordre où l’étrangère l’a conduit en me posant des questions. Moi aussi, je lui disais à peu près les mêmes choses qu’Agathon vient de me dire, que l’Amour était un grand dieu et qu’il était l’amour du beau ; elle me démontra alors, par les mêmes raisons que je l’ai fait à Agathon, que l’Amour n’est ni beau, comme je le croyais, ni bon.— Que dis-tu, Diotime, répliquai-je ; alors l’Amour est laid et mauvais ?— Parle mieux ; penses-tu que ce qui n’est pas beau soit nécessairement laid ?— Certes.— Crois-tu aussi que qui n’est pas savant soit ignorant, et ne sais-tu pas qu’il y a un milieu entre la science et l’ignorance ?— Quel est-il ?— Ne sais-tu pas que c’est l’opinion vraie, mais dont on ne peut rendre raison, et qu’elle n’est ni science — car comment une chose dont on ne peut rendre raison serait-elle science ? — ni ignorance, car ce qui par hasard possède le vrai ne saurait être ignorance ; l’opinion vraie est quelque chose comme un milieu entre la science et l’ignorance.— C’est juste, dis-je.— Ne conclus donc pas forcément que ce qui n’est pas beau est laid, et que ce qui n’est pas bon est mauvais ; ainsi en est-il de l’amour : ne crois pas, parce que tu reconnais toi-même qu’il n’est ni bon ni beau, qu’il soit nécessairement laid et mauvais, mais qu’il est quelque chose d’intermédiaire entre ces deux extrêmes.— Pourtant, dis-je, tout le monde reconnaît qu’il est un grand dieu.—