Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/68

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devenir savants ; car l’ignorance a précisément ceci de fâcheux que, n’ayant ni beauté, ni bonté, ni science,on s’en croit suffisamment pourvu. Or, quand on ne croit pas manquer d’une chose, on ne la désire pas.

Je demandai : Quels sont donc, Diotime, ceux qui philosophent, si ce ne sont ni les savants ni les ignorants ?— Un enfant même, répondit-elle, comprendrait tout de suite que ce sont ceux qui sont entre les deux, et l’Amour est de ceux-là. En effet, la science compte parmi les plus belles choses ; or l’Amour est l’amour des belles choses ; il est donc nécessaire que l’Amour soit philosophe, et, s’il est philosophe, qu’il tienne le milieu entre le savant et l’ignorant ; et la cause en est dans son origine, car il est fils d’un père savant et plein de ressources, mais d’une mère sans science ni ressources. Voilà, mon cher Socrate, quelle est la nature du démon. Quant à la façon dont tu te représentais l’Amour, ton cas n’a rien d’étonnant ; tu t’imaginais, si je puis le conjecturer de tes paroles, que l’Amour est l’objet aimé et non le sujet aimant : voilà pourquoi, je pense, tu te le figurais si beau ; et, en effet, ce qui est aimable, c’est ce qui est réellement beau, délicat, parfait et bienheureux ; mais ce qui aime a un tout autre caractère, celui que je viens d’exposer ».

XXIV. — Je repris : « Il faut se rendre à ton raisonnement, étrangère, car il est juste. Mais l’Amour étant tel que tu viens de le dire, quels services rend-il aux hommes ?— C’est justement, Socrate, ce que je vais à présent tâcher de t’apprendre, dit-elle. Tu connais la nature et l’origine de l’Amour et tu reconnais toi-même qu’il est l’amour des belles choses. Mais si l’on nous demandait : Pourquoi, Socrate et Diotime, l’Amour est-il l’amour des belles choses ? ou, pour parler plus clairement, en aimant les belles choses, qu’aime-t-on ?

Je répondis : Les avoir à soi.— Cette réponse, dit-elle, appelle une autre question qui est celle-ci : Qu’est-ce qu’aura celui qui possédera les belles choses ?

Je répondis que je ne pouvais répondre au pied levé à une pareille question.— Mais si, par exemple, dit-elle, substituant le mot bon au mot beau, on te demandait : Voyons, Socrate, quand en aime les bonnes choses, qu’aime-t-on ? — Les posséder, répondis-je.— Et qu’est-ce qu’aura celui qui possédera les bonnes choses ?—