Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/81

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Tu ne diras pas, Socrate, que cela n’est pas vrai ; et encore maintenant je sens bien que, si le voulais prêter l’oreille à ses discours, je n’y résisterais pas, j’éprouverais les mêmes émotions ; car il me force d’avouer qu’étant moi-même imparfait en bien des choses je me néglige moi-même pour m’occuper des affaires des Athéniens. Aussi je suis forcé de me boucher les oreilles, comme devant les sirènes, pour le quitter et le fuir, si je ne veux pas rester là, assis près de lui, jusqu’à ma vieillesse. J’éprouve devant lui seul un sentiment qu’on ne croirait pas trouver en moi, celui d’avoir honte devant quelqu’un : il est le seul devant qui je rougisse. Je sens bien l’impossibilité de contester qu’il ne faille faire ce qu’il ordonne ; mais, quand je l’ai quitté, je sens aussi que l’ambition des honneurs populaires reprend le dessus ; aussi je le fuis, comme un esclave marron, et, quand je le vois, je rougis de mes aveux passés, et souvent je voudrais qu’il ne fût pas au monde ; mais, s’il en était ainsi, je sais bien que j’en aurais encore plus de chagrin : c’est au point que je ne sais comment faire avec cet homme-là.

XXXIII.- Tel est l’effet que les airs de flûte de ce satyre ont produit sur moi et sur beaucoup d’autres ; mais je vais vous donner d’autres preuves de sa ressemblance avec ceux à qui je l’ai comparé et des merveilleuses qualités qu’il possède ; car, sachez-le, personne de vous ne connaît Socrate : moi, je vais vous le faire connaître puisque j’ai commencé. En apparence, Socrate est amoureux des beaux garçons et tourne sans cesse auteur d’eux avec des yeux ravis ; d’autre part, il ignore tout et ne sait rien, il en a l’air du moins. Cela n’est-il pas d’un silène ? Tout à fait. Ce sont en effet des dehors sous lesquels il se cache, comme le sirène sculpté ; mais si vous l’ouvrez, mes chers convives, de quelle sagesse vous le trouverez rempli. Sachez que la beauté d’un homme est son moindre souci : il la dédaigne à un point qu’on ne peut se figurer, comme aussi la richesse et tous les autres avantages que le vulgaire estime. Il juge que tous ces biens n’ont aucune valeur et nous regarde comme rien, je vous l’assure. Il passe toute sa vie à railler et à plaisanter avec les gens ; mais quand il est sérieux et qu’il s’ouvre, je ne sais si quelqu’un a vu les beautés qui sont en lui ; mais je les ai vues, moi, et elles m’ont paru si divines, si éclatantes, si belles, si merveilleuses qu’il n’y a pas moyen de résister à ses volontés.

Le croyant sérieusement épris de ma beauté, je crus