Page:Platon - Le Banquet ; Phèdre (trad. Chambry), 1991.djvu/83

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cœur ou à l’âme (donnez-lui tel nom que vous voudrez) par les discours de la philosophie, qui pénètrent plus cruellement que le dard de la vipère, quand ils rencontrent une âme jeune et bien née, et qui font dire ou faire toute sorte d’extravagances — moi qui vois d’ailleurs un Phèdre, un Agathon, un Éromaque, un Pausanias, un Aristodème, un Aristophane, sans parler de Socrate et des autres, tous atteints comme moi de la folie et de la fureur philosophique, je n’hésite pas à tout dire devant vous tous ; car vous saurez excuser ce que je fis alors et ce que je vais dire à présent. Quant aux serviteurs et à tous les profanes et à tous les ignares, qu’ils mettent devant leurs oreilles des portes épaisses (65).

XXXIV. — Lors donc, messieurs, que la lampe fut éteinte et les esclaves sortis, je jugeai qu’il ne fallait pas biaiser avec lui, mais déclarer franchement ma pensée. Je le touchai donc en disant. : « Tu dors, Socrate ?— Mais non, répondit-il.— Sais-tu ce que je pense ?— Explique-toi, dit il.— Je pense, repris-je, que tu es le seul amant digne de moi, et je vois que tu hésites à te déclarer. Pour moi voici mon sentiment : ce serait montrer peu de raison de ne pas te complaire en ceci comme en toute chose où tu pourrais avoir besoin de ma fortune ou de mes amis ; car, je n’ai rien plus à cœur que de me perfectionner le plus possible, et pour cela je ne crois pas que je puisse trouver d’aide plus efficace que la tienne. Aussi je rougirais beaucoup plus devant les sages de ne pas céder aux désirs d’un homme comme toi, que je ne rougirais devant la foule des sots de te céder. »

À ce discours, il répondit avec l’ironie ordinaire qui le caractérise : « Mon cher Alcibiade, il semble bien réellement que tu n’es pas un malavisé, si ce que tu viens de dire de moi est véritable, et si je possède le pouvoir de te rendre meilleur ; en ce cas, tu aurais vu en moi une inconcevable beauté, bien supérieure à la beauté de tes formes ; or si, après une telle découverte, tu essayes d’entrer en relation avec moi pour échanger beauté contre beauté, c’est un marché passablement avantageux que tu veux faire, puisque tu prétends obtenir des beautés réelles pour des beautés imaginaires, et que tu songes à échanger en réalité du fer contre de l’or (66). Mais, mon bel ami, regardes-y de plus près, et prends garde de te faire illusion sur mon peu de valeur. Les yeux de l’esprit ne