Page:Platon - Protagoras ; Euthydème ; Gorgias ; Ménexène, Ménon, Cratyle (trad. Chambry), 1992.djvu/178

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SOCRATE

451d-452b Eh bien, maintenant, Gorgias, à ton tour. La rhéto­rique est justement un des arts qui accomplissent et achèvent leur tâche uniquement au moyen de discours, n’est‑il pas vrai ?

GORGIAS

C’est vrai.

SOCRATE

Dis‑moi donc à présent sur quoi portent ces discours. Quelle est, entre toutes les choses de ce monde, celle dont traitent ces discours propres à la rhétorique ?

GORGIAS

Ce sont les plus grandes de toutes les affaires humaines, Socrate, et les meilleures.

SOCRATE

VII. — Mais, Gorgias, ce que tu dis là est sujet à dis­cussion et n’offre encore aucune précision. Tu as sans doute entendu chanter dans les banquets cette chanson qui, dans l’énumération des biens, dit que le meilleur est la santé, que le second est la beauté et que le troisième est, selon l’expression de l’auteur de la chanson, la richesse acquise sans fraude 8.

GORGIAS

Je l’ai entendue en effet, mais où veux‑tu en venir ?

SOCRATE

C’est que tu pourrais bien être assailli tout de suite par les artisans de ces biens vantés par l’auteur de la chanson, le médecin, le pédotribe 9 et le financier, et que le médecin le premier pourrait me dire : « Socrate, Gorgias te trompe. Ce n’est pas son art qui a pour objet le plus grand bien de l’humanité, c’est le mien. » Et si je lui demandais : « Qui es‑tu, toi, pour parler de la sorte ?, il me répon­drait sans doute qu’il est médecin. — « Que prétends‑tu donc ? Que le produit de ton art est le plus grand des biens ? » il me répondrait sans doute : « Comment le contester, Socrate, puisque c’est la santé ? Y a‑t‑il pour les hommes un bien plus grand que la santé ? » Et si, après le médecin, le pédotribe à son tour me disait : « Je serais, ma foi, bien surpris, moi aussi, Socrate, que Gorgias pût te montrer de son art un bien plus grand que moi du mien », je lui répondrais à lui aussi : « Qui es‑tu, l’ami, et quel est ton ouvrage ? — Je suis pédo­tribe, dirait‑il, et mon ouvrage, c’est de rendre les hommes beaux et robustes de corps. » Après le pédotribe, ce serait, je pense, le financier qui me dirait, avec un souverain mépris pour tous les autres : 452c-453a «