Page:Platon - Protagoras ; Euthydème ; Gorgias ; Ménexène, Ménon, Cratyle (trad. Chambry), 1992.djvu/186

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usage tout opposé. C’est donc celui qui en use mal qui mérite la réprobation, l’exil et la mort, mais non le maître.

SOCRATE

XII. — J’imagine, Gorgias, que tu as, comme moi, assisté à bien des discussions et que tu y as remarqué une chose, c’est que les interlocuteurs ont bien de la peine à définir entre eux le sujet qu’ils entreprennent de discuter et à terminer l’entretien après s’être instruits et avoir instruit les autres. Sont‑ils en désaccord sur un point et l’un prétend‑il que l’autre parle avec peu de justesse ou de clarté, ils se fâchent et s’imaginent que c’est par envie qu’on les contredit et qu’on leur cherche chicane, au lieu de chercher la solution du problème a débattre. Quelques‑uns même se séparent à la fin comme des goujats, après s’être chargés d’injures et avoir échangé des propos tels que les assistants s’en veulent à eux‑mêmes d’avoir eu l’idée d’assister à de pareilles disputes. Pourquoi dis‑je ces choses ? C’est qu’en ce moment tu me parais exprimer des idées qui ne concordent pas tout à fait et ne sont pas en harmonie avec ce que tu as dit d’abord de la rhétorique. Aussi j’hésite à te réfuter : j’ai peur que tu ne te mettes en tête que, si je parle, ce n’est pas pour éclaircir le sujet, mais pour te chercher chicane à toi-même. Si donc tu es un homme de ma sorte, je t’interrogerai volontiers ; sinon, je m’en tiendrai là. De quelle sorte suis‑je donc ? Je suis de ceux qui ont plaisir à être réfutés, s’ils disent quelque chose de faux, et qui ont plaisir aussi à réfuter les autres, quand ils avancent quelque chose d’inexact, mais qui n’aiment pas moins à être réfutés qu’à réfuter. Je tiens en effet qu’il y a plus à gagner à être réfuté, parce qu’il est bien plus avantageux d’être soi-même délivré du plus grand des maux que d’en déli­vrer autrui ; car, à mon avis, il n’y a pour l’homme rien de si funeste que d’avoir une opinion fausse sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Si donc tu m’affirmes être dans les mêmes dispositions que moi, causons ; si au contraire tu es d’avis qu’il faut en rester là, restons‑y et finissons la discussion.

GORGIAS

Mais moi aussi, Socrate, je me flatte d’être de ceux dont tu as tracé le portrait. Mais peut‑être faudrait‑il songer aussi à la compagnie. Bien avant votre arrivée, j’ai donné aux assistants une longue séance, et si nous continuons la discussion, elle nous entraînera peut‑être un peu loin. Il faut donc aussi penser à eux et ne pas retenir ceux d’entre eux qui voudraient s’occuper d’autres affaires.