Page:Platon - Protagoras ; Euthydème ; Gorgias ; Ménexène, Ménon, Cratyle (trad. Chambry), 1992.djvu/227

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je tiens, mais oblige l’objet de mon amour, la philoso­phie, à cesser de parler comme elle fait. C’est elle en effet, cher ami, qui dit sans cesse ce que tu m’entends dire en ce moment, et elle est beaucoup moins chan­geante que mes autres amours ; car le fils de Clinias parle tantôt d’une façon, tantôt d’une autre mais la philosophie tient toujours le même discours. C’est elle qui dit les choses dont tu t’étonnes et tu as assisté toi-même à ses discours. C’est donc elle que tu as à réfuter, je le répète ; prouve‑lui que commettre l’injustice et vivre dans l’impu­nité, après l’avoir commise, n’est pas le dernier des maux. Autrement, si tu laisses cette assertion sans la réfuter, par le chien, dieu des Égyptiens, je te jure, Calliclès, que Calliclès ne s’accordera pas avec lui-même et qu’il vivra dans une perpétuelle dissonance. Or, je pense, moi, excellent ami, que mieux vaudrait pour moi avoir une lyre mal accordée et dissonante, diriger un chœur discordant et me trouver en opposition et en contradiction avec la plupart des hommes que d’être seul en désaccord avec moi-même et de me contredire.

CALLICLÈS

XXXVIII. — Tu m’as l’air, Socrate, d’être aussi pré­somptueux dans tes discours qu’un véritable orateur popu­laire, et tu déclames ainsi, parce que Polos a eu la même défaillance qu’il accusait Gorgias d’avoir eue avec toi. Polos a dit en effet que Gorgias, lorsque tu lui as demandé, au cas où quelqu’un, désireux d’apprendre la rhétorique, viendrait à son école sans connaître la justice, s’il la lui enseignerait, avait répondu qu’il l’enseignerait, par fausse honte et pour ne pas heurter les préjugés des gens, qui s’indigneraient qu’on répondît autrement ; que cet aveu avait réduit Gorgias à se contredire, et que c’est justement cela que tu cherches. Là‑dessus Polos s’est moqué de toi et à juste titre, à mon avis. Et voilà que Polos s’est mis lui-même dans le même cas que Gorgias, et, pour ma part, je ne saurais l’approuver de t’avoir accordé qu’il est plus laid de commettre l’in­justice que de la subir. C’est à la suite de cette concession que tu as pu l’empêtrer dans tes raisonnements et lui fermer la bouche ; parce qu’il n’a pas osé parler suivant sa pensée. Car au fond, Socrate, c’est toi qui, tout en protestant que tu cherches la vérité, te comportes comme un vulgaire déclamateur et diriges la conversation sur ce qui est beau, non selon la nature, mais selon la loi. Or, le plus souvent, la nature et la loi s’opposent l’une à l’autre. Si donc, par pudeur, on n’ose pas dire ce qu’on pense, on est forcé de se contredire. C’est un secret que tu as découvert, toi aussi, et tu t’en sers pour dresser des pièges dans la dispute. Si l’on parle en se référant à la loi, tu interroges en te référant à la nature, et si l’on 483a-484b