Page:Platon - Protagoras ; Euthydème ; Gorgias ; Ménexène, Ménon, Cratyle (trad. Chambry), 1992.djvu/82

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qu’en discutant avec toi, j’aie d’autre but que d’approfondir les questions qui m’embarrassent à l’occasion ; car je suis persuadé qu’Homère a eu grand raison de dire : Quand deux hommes vont ensemble, l’un remarque avant l’autre... car en nous associant, nous autres hommes, nous trouvons tous, en toute occasion, plus de ressources pour agir, parler et penser ; si un seul fait une observation, aussitôt il s’en va partout, cherchant à qui en faire part et par qui la confirmer, jusqu’à ce qu’il le rencontre. C’est pour cela que moi-même j’ai plaisir à m’entretenir avec toi, plutôt qu’avec tout autre, persuadé que je suis que tu es sans égal pour approfondir toutes les questions qu’un honnête homme doit examiner, et en particulier celle de la vertu. Et quel autre que toi pourrais-je consulter ? Tu ne prétends pas seulement être toi-même homme de bien, comme certains autres qui sont vertueux pour leur compte, mais incapables de rendre vertueux les autres ; toi, tu es vertueux pour ton compte et tu es capable aussi de rendre les autres vertueux, et tu as une telle confiance en toi qu’au rebours des autres, qui déguisent leur profession, tu as ouvertement proclamé par toute la Grèce ce que tu es, que tu as revendiqué le nom de sophiste, que tu t’es donné pour un maître d’éducation et de vertu, et que, le premier, tu as cru devoir mettre un prix à tes leçons. Comment donc pourrait-on se dispenser de t’appeler à l’examen de ces questions, de t’interroger, de conférer avec toi ? Il n’y a pas moyen de ne pas le faire.

Aussi dans la question qui nous occupe à présent et sur laquelle je t’ai consulté d’abord, je voudrais que, reprenant les choses au début, tu rappelles les unes et approfondisses les autres avec moi. La question, si je ne me trompe, était celle-ci : La science, la tempérance, le courage, la justice et la sainteté sont-elles cinq noms appliqués à un seul objet, ou chacun de ces noms recèle-t-il une essence propre, une chose qui ait sa propriété particulière, une chose distincte et différente des autres ? Tu soutenais que ce n’étaient pas les noms d’un seul objet, mais que chacun de ces noms se rapportait à un objet propre, qu’ils désignaient autant de parties de la vertu, non point telles que les parties de l’or, qui sont semblables entre elles et au tout dont elles sont parties, mais telles que les parties du visage, qui diffèrent du tout dont elles sont parties et les unes des autres, et qui ont chacune leur propriété particulière. Si tu es toujours dans le même sentiment, dis-le ; si tu en as changé, explique-moi en quoi ; je ne te tiendrai pas rigueur, si tu penses un peu différemment maintenant ;