Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/101

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question dès le début, discute-la en opposant discours à discours ; si tu préfères procéder par interrogations, interroge ; c’est une méthode qu’il ne faut pas rejeter non plus, c’est même celle qu’un homme intelligent doit préférer à toutes les autres. Mais uses-en comme je vais te dire : ne mets pas de mauvaise foi dans tes interrogations. Ce serait en effet d’une grande inconséquence, quand on prétend s’intéresser à la vertu, d’être toujours déloyal dans la discussion. La déloyauté consiste ici à ne pas faire de distinction, quand on converse, entre la dispute et la discussion ; dans la première, on badine et on trompe tant qu’on peut ; dans la deuxième, on est sérieux et l’on redresse celui avec qui l’on converse, en se bornant à lui montrer les fautes où il est tombé, soit par lui-même, soit par suite des leçons qu’il a reçues. Si tu suis cette règle, tes interlocuteurs s’en prendront à eux-mêmes, et non à toi, de leur trouble et de leur embarras ; ils te rechercheront et t’aimeront ; ils se déplairont à eux-mêmes et, se fuyant eux-mêmes, ils se réfugieront dans la philosophie, afin de devenir autres et de dépouiller l’homme qu’ils étaient auparavant. Si, comme le grand nombre, tu fais le contraire, c’est le contraire qui t’arrivera, et, au lieu de rendre tes interlocuteurs philosophes, tu leur feras haïr la philosophie quand ils seront devenus plus âgés. Si donc tu veux m’écouter, tu te garderas de l’humeur malveillante et combative dont je parlais tout à l’heure, et tu examineras véritablement dans un esprit de douceur et de condescendance ce que nous avançons, en déclarant que tout est en mouvement et que les choses sont telles qu’elles paraissent à chacun, individu ou Etat. Sur cette base, tu examineras si la science et la sensation sont identiques ou différentes, sans t’attacher, comme tout à l’heure, à l’usage ordinaire des expressions et des mots, que la plupart des gens tirent au sens qu’il leur plaît, se jetant ainsi mutuellement en toute sorte d’embarras. »

Voilà, Théétète, ce que mes forces m’ont permis d’offrir pour la défense de ton ami, faible secours sur mes faibles ressources. Si lui-même était encore de ce monde, il aurait défendu ses idées avec une autre magnificence.

THÉODORE

XXI. — Tu te moques, Socrate, tu l’as très vigoureusement défendu.

SOCRATE

Tu me flattes, mon ami. Mais dis-moi, as-tu pris garde