Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/139

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nous si l’embarras où nous sommes nous contraignait d’avouer ce que je veux dire. Mais si nous trouvons ce que nous cherchons et si nous nous délivrons de notre perplexité, il sera temps alors de parler des autres, empêtrés dans ces absurdités, une fois que nous aurons échappé au ridicule. Si, au contraire, notre embarras reste sans issue, j’imagine qu’ainsi humiliés, nous nous mettrons à la merci de l’argument, comme des gens qui ont le mal de mer[1], pour qu’il nous foule aux pieds et nous maltraite à sa guise. Ecoute donc par où je trouve encore une issue pour notre enquête.

THÉÉTÈTE

Tu n’as qu’à parler.

SOCRATE

Je dirai que nous avons eu tort d’accorder ce que nous avons accordé : qu’il est impossible de prendre ce qu’on sait pour ce qu’on ne sait pas et par là de se tromper. Il y a, au contraire, une voie par où c’est possible.

THÉÉTÈTE

Veux-tu parler d’une chose que j’ai soupçonnée moi-même, quand nous avons dit que l’opinion fausse était quelque chose comme ce qui m’est parfois arrivé, à savoir que moi, qui connais Socrate, en voyant de loin un étranger que je ne connais pas, je l’ai pris pour Socrate, que j e connais ? Il se produit en ce cas une méprise comme celle dont tu parles.

SOCRATE

N’avons-nous pas rejeté cette explication, parce qu’il en résultait que, ce que nous savons, nous ne le savons pas, tout en le sachant.

THÉÉTÈTE

C’est exact.

SOCRATE

Renonçons donc à cette explication pour celle-ci, qui peut-être aura pour nous quelque complaisance, peut-être aussi nous opposera de la résistance. Nous sommes en effet dans un tel embarras qu’il est indispensable de retourner en tous sens tous les arguments pour les mettre à l’épreuve. Vois donc si ce que je vais dire a quelque solidité. Est-il possible, quand on ne sait pas d’abord une chose, de l’apprendre dans la suite ?

THÉÉTÈTE

Oui, certainement.

  1. Allusion à la situation proverbiale décrite dans l’Ajax de Sophocle (1142 sq.) : « J’ai déjà vu un homme à la langue hardie exciter les matelots à naviguer par mauvais temps ; mais il n’avait plus de voix dans la détresse, de la tempête et, caché sous son manteau, il se laissait fouler aux pieds au gré des matelots. »