Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

notre être, et que nous ne sommes liés à rien d’autre, pas même à nous-mêmes. Il ne reste donc que cette liaison mutuelle, en sorte que, si l’on dit que quelque chose existe, c’est à quelqu’un, ou de quelqu’un, ou relativement à quelque chose qu’il faut dire qu’il est ou devient ; mais qu’une chose existe ou devienne en soi et par elle-même, c’est ce qu’il ne faut pas dire ni permettre de dire à personne. Telle est la portée de la doctrine que j’ai exposée.

THÉÉTÈTE

Rien n’est plus vrai, Socrate.

SOCRATE

Puis donc que ce qui agit sur moi est relatif à moi et non à un autre, c’est moi aussi qui le sens, et personne autre.

THÉÉTÈTE

Naturellement.

SOCRATE

Ma sensation est donc vraie pour moi, car, en chaque cas, c’est une partie de mon être, et je suis, comme le dit Protagoras, juge de l’existence des choses qui sont pour moi et de la non-existence de celles qui ne sont pas pour moi.

THÉÉTÈTE

Il y a apparence.

SOCRATE

XV. — Comment donc, puisque je ne me trompe point et que mon esprit ne bronche pas sur ce qui est ou devient, n’aurais-je pas la science des objets dont j’ai la sensation ?

THÉÉTÈTE

Il n’est pas possible que tu ne l’aies pas.

SOCRATE

Tu as donc eu parfaitement raison de dire que la science n’est pas autre chose que la sensation, et cette doctrine s’accorde avec celle d’Homère, d’Héraclite et de toute la tribu qui les suit, à savoir que tout se meut comme un fleuve, avec celle du très sage Protagoras, que l’homme est la mesure de toutes choses, et avec celle de Théétète, que, puisqu’il en est ainsi, la sensation devient la science. Est-ce bien cela, Théétète ? Dirons-nous que nous avons là, si je puis dire, ton enfant nouveau-né, mis au monde grâce à moi ? Qu’en dis-tu ?