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PROTAGORAS

« Préfères-tu, lui dis-je, conduire la recherche, ou m’en laisser le soin ? » — « C’est à toi, dit-il, qu’il convient de la diriger, puisque c’est toi qui a proposé la formule. »

— « Voyons donc si nous pourrons éclaircir la question de la manière suivante. Je suppose qu’on veuille juger, sur l’apparence extérieure d’un homme, de sa santé et de son aptitude aux exercices physiques, et que, n’apercevant de son corps que le visage et l’extrémité des mains, on lui dise : « Découvre-moi donc ta poitrine et ton dos, afin que je puisse mieux t’examiner ; » eh bien, c’est justement quelque chose d’analogue que je réclame en vue de mon examen. Après avoir vu ce que tu penses de l’agréable et du bien d’après ce que tu viens de m’en dire, je te demande la permission d’ajouter encore à peu près ceci : découvre-moi, Protagoras, un autre côté de ta pensée ; que penses-tu de la science[1] ? En as-tu la même conception que la plupart des hommes, ou une conception différente ? L’opinion commune sur la science, c’est qu’il n’y a en elle aucune force, aucune puissance de direction et de commandement ; loin de lui attribuer un pareil rôle, on croit que chez l’homme où elle existe ce n’est pas elle qui commande, mais que c’est toute autre chose, tantôt la passion, tantôt le plaisir, tantôt le chagrin, parfois l’amour, souvent la crainte ; bref, l’idée qu’on se fait de la science est celle d’un esclave ballotté en tous sens par mille volontés. Est-ce là aussi ton opinion sur la science, ou bien au contraire vois-tu en elle une belle chose, capable de commander à l’homme, de telle sorte que celui qui connaît le bien et le mal se refuse invinciblement à faire quoi que ce soit contre les prescriptions de la science et que la sagesse soit pour l’homme un sûr appui ? » — « Je suis de ton avis, Socrate, et j’ajoute qu’il me serait plus honteux qu’à personne de me refuser à voir dans la sagesse et la science la plus grande des puissances humaines. »

— « À merveille, repris-je, et rien de plus vrai. Mais tu n’ignores pas que la plupart des hommes, bien loin de nous en croire, toi et moi, affirment que souvent, sachant ce qui est bien, on fait tout autre chose que ce bien qu’on pourrait accomplir ; et chaque fois que j’ai demandé la raison de cette

  1. Socrate ne s’écarte pas du thème esquissé à 351 b (identité du plaisir et du bien) ; mais il l’aborde cette fois par un biais, en partant