Page:Plaute, Térence, Sénèque - Théâtre complet, Nisard.djvu/674

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avoir sans cesse pour collaborateurs, loin de prendre cela, comme ils se l’imaginent, pour un sanglant outrage, il se trouve fort honoré de plaire à des hommes qui ont su plaire au peuple romain et à vous tous, (20) qui dans la guerre, dans l’administration, dans la vie privée, ont rendu service à chaque citoyen en toute occasion, sans faste et sans orgueil. Maintenant n’attendez pas de moi l’exposition du sujet. Les deux vieillards qui vont paraître les premiers le feront connaître en partie ; l’action développera le reste. Puisse votre bienveillance (25) soutenir le zèle de l’auteur et l’encourager à de nouveaux essais !


ACTE PREMIER



ACTE I, SCENE I (Micion seul)

Storax !…. Allons, Eschine n’est pas encore rentré de son souper d’hier, ni aucun des esclaves que j’avais envoyés au-devant de lui. On a bien raison de dire : Si vous vous absentez ou que vous tardiez trop à revenir, mieux vaudrait qu’il vous arrivât (30) tout ce que dit et pense de vous une femme en colère, que ce qu’appréhendent des parents trop faibles. Une femme, pour peu que vous tardiez, s’imagine que vous êtes à boire ou à faire l’amour, que vous vous donnez du bon temps, et que tout le plaisir est pour vous, tandis qu’elle a toute la peine. (35) Moi, parce que mon fils n’est pas revenu, que ne vais je pas me mettre en tête ! Que d’inquiétudes et de tourments ! N’a-t-il pas eu froid ? Aurait-il fait une chute ? Se serait-il brisé quelque membre ? Ah ! quelle folie ! Livrer son cœur à une affection, se créer des liens auxquels on attache plus de prix qu’à sa propre existence ! (40) Cependant ce n’est pas mon fils, c’est le fils de mon frère, d’un frère qui m’est entièrement opposé de goûts et d’humeur, et cela dès notre enfance. Moi, j’ai préféré la vie douce et paisible qu’on mène à la ville, et, chose qu’on regarde comme un grand bonheur, je ne me suis jamais marié. Lui, tout au contraire, (45) il a toujours vécu à la campagne, s’imposant des privations, ne se ménageant pas ; il s’est marié ; il a eu deux enfants. J’ai adopté l’aîné ; je l’ai pris chez moi tout petit ; je l’ai regardé, je l’ai aimé comme mon fils. Il fait toute ma joie ; il est l’unique objet de ma tendresse, (50) et je n’épargne rien pour qu’il me rende la pareille. Je lui en fourre, je lui en passe ; je ne crois pas nécessaire d’user à tout propos de mon autorité. Bref, toutes ces folies de jeune homme, que les autres font en cachette de leurs pères, je l’ai accoutumé à ne point s’en cacher avec moi. (55) Quand on ose mentir à son père, qu’on a pris l’habitude de le tromper, on ne se fait aucun scrupule de tromper les autres. Je crois qu’il vaut mieux retenir les enfants par l’honneur et les sentiments que par la crainte. Mon frère et moi ne sommes pas là-dessus du même avis ; ce système lui déplaît. (60) Il vient souvent me corner aux oreilles : « Que faites-vous, Micion ? Vous nous perdez cet enfant. Comment ! il boit, il a des maîtresses ! Et vous fournissez à de pareilles dépenses ! Vous le gâtez pour sa toilette ; vous êtes trop déraisonnable. » C’est lui qui est trop dur, qui passe toutes les bornes de la justice et de la raison. (65) Et il a bien tort, à mon avis, de croire que l’autorité de la force est plus respectée et plus solide que celle de l’amitié. Pour moi, voici comment je raisonne, voici le système que je me suis fait : Quand on ne fait son devoir (70) que par la crainte du châtiment, on l’observe tout le temps qu’on a peur d’être découvert. Compte-t-on sur l’impunité, on retourne aussitôt à son naturel. Mais celui que vous vous attachez par des