Page:Plaute, Térence, Sénèque - Théâtre complet, Nisard.djvu/689

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SCENE IV (Eschine, seul)

Je suis au désespoir ! Un pareil coup au moment où je m’y attendais le moins ! Que faire ? que devenir ? Je suis dans un abattement de corps et d’esprit, (615) dans un état de stupeur, qui me rend incapable de la moindre résolution. Ah ! comment me tirer de cet embarras ? Je n’en sais rien. Soupçonné de la plus noire trahison, et non sans sujet ! Sostrate croit que c’est pour moi que j’ai acheté cette chanteuse ; (620) la vieille me l’a bien fait entendre. Car tout à l’heure, comme on l’avait envoyée chercher la sage-femme, je la rencontre par hasard, je l’aborde, je lui demande comment va Pamphile, si le moment approche, si c’est pour cela qu’elle va chercher la sage-femme. La voilà qui se met à crier : « Allez, allez, Eschine ; c’est assez longtemps vous moquer de nous ; c’est assez nous amuser avec vos belles paroles. » (625) —— Comment ! lui dis-je, qu’est-ce que cela signifie ? —— « Allez vous promener ; gardez celle qui vous plaît. » J’ai compris à l’instant de quoi elles me soupçonnaient ; mais je me suis retenu, et je n’ai rien voulu dire de Ctésiphon à cette commère, parce que tout le monde le saurait déjà. Que faire à présent ? Dirai-je que cette chanteuse est à mon frère ? c’est chose inutile à divulguer. Voyons, rassurons-nous ; il est possible qu’elles se taisent. (630) J’ai une autre crainte, c’est qu’elles ne me croient pas, tant les apparences sont contre moi ! C’est moi qui l’ai enlevée, moi qui ai donné l’argent, chez moi qu’on l’a conduite. Ah ! c’est bien ma faute aussi, je l’avoue, si tout cela m’arrive. N’avoir pas raconté la chose à mon père, comme elle s’est passée ! J’aurais obtenu de l’épouser. C’est trop longtemps s’endormir. Allons, Eschine, réveille-toi. (635) Et d’abord je n’en vais me justifier auprès d’elles. Approchons. Ah ! j’éprouve un frisson toutes les fois que je frappe à cette porte. Holà ! holà ! c’est moi… Eschine : ouvrez, ouvrez vite. Quelqu’un sort. Qui ce peut-il être ? Mettons-nous à l’écart.

SCENE V (Micion, Eschine)

MI. Faites ce que vous m’avez dit, Sostrate ; (640) moi, je vais trouver Eschine, pour l’instruire de tous nos arrangements. —-Mais qui vient de frapper ?

AE. C’est mon père ! Je suis perdu.

MI. Eschine !

AE. (à part) Qu’a-t-il affaire ici ?

MI. C’est vous qui avez frappé à cette porte ? (à part) Il ne dit mot. Pourquoi ne m’amuserais-je pas un peu à ses dépens ? Ce sera bien fait, puisqu’il n’a pas voulu se confier à moi. (haut) (645) Vous ne répondez pas ?

AE. A cette porte ?… Non, que je sache.

MI. En effet, je m’étonnais que vous eussiez affaire en cette maison. (à part) Il rougit ; tout est sauvé.

AE. Mais vous, mon père, dites moi, de grâce, quel intérêt vous y attire.

MI. Moi ? rien. C’est un de mes amis qui tout à l’heure m’est venu prendre sur la place, et m’a amené ici (650) pour lui servir de conseil.

AE. A quel sujet ?

MI. Je vais vous le dire. Ici demeuraient deux pauvres femmes bien malheureuses. Je pense que vous ne les connaissez pas, j’en suis même sûr ; car il y a peu de temps qu’elles sont venues s’y établir.

AE. Eh bien ! après ?

MI. C’est une mère avec sa fille.