apporte de l’eau et remplis lestement la chaudière… Toi, avec ta hache, je mets dans ton département le bois à fendre.
L’ESCLAVE. Elle est toute émoussée.
BALLION. Qu’elle soit ; vous l’êtes bien tous par les coups ; est-ce que je me sers moins de vous à cause de cela ?… Toi, tu ; nettoieras la maison ; tu as de la besogne, rentre au plus vite… Toi, tu apprêteras le couvert ; relave l’argenterie et range-la. Faites en sorte, quand je reviendrai de la place, que je trouve tout préparé, balayé, arrosé, essuyé, étalé, tout en bon point. C’est aujourd’hui mon jour de naissance, vous devez tous le célébrer… Mets à tremper un jambon, un filet, une langue, une tétine : m’entends-tu ? Je veux recevoir sur un grand pied des personnages d’importance, je veux qu’ils me croient du bien… Rentrez, et vitement à l’œuvre, qu’il n’y ait point de retard quand le cuisinier arrivera. Moi je vais au marché acheter les poissons les plus chers… Marche devant, gamin, qu’on ne fasse pas un trou à ta bourse. Non, attends, j’allais oublier, j’ai encore quelque chose à dire à la maison… Écoutez, les femmes, voici mes ordres. Vous qui passez votre vie dans l’élégance, la mollesse et les délices, et qui êtes la coqueluche des amants les plus huppés, je vais bien voir aujourd’hui quelle est celle qui songe à sa liberté, à sa subsistance, à son bien, ou qui ne pense qu’à dormir ; je connaîtrai celle dont je dois faire mon affranchie et celle que je mettrai en vente. Ayez soin que les cadeaux des galants pleuvent chez moi aujourd’hui. Si je n’ai dans la journée de quoi vivre une année entière, demain vous serez filles publiques. Vous savez que c’est mon jour de naissance : où sont-ils, ceux qui vous aiment comme la prunelle de leurs yeux, qui vous appellent « ma vie, mon bonheur, mon suave baiser, mon charmant bouton, mon doux miel ? » Tâchez que toute la bande vienne à ma porte tantôt, lestée de présents ! Que me sert de vous fournir des habits, des bijoux et tout ce qu’il vous faut ? qu’est-ce que je retire de votre savoir-faire, carognes, si ce n’est de l’ennui ? Vous n’aimez que le vin : aussi vous êtes sans cesse à vous arroser le bec, tandis que j’ai le gosier sec… Mais ce que j’ai de mieux à faire, c’est d’appeler chacune par son nom, afin que nulle de vous ne puisse dire que je ne l’ai pas avertie. Écoutez-moi donc toutes… A toi d’abord, Hédylie ; tu es la maîtresse de ces marchands de blé qui ont chez eux des tas de froment hauts comme des montagnes : fais en sorte qu’on m’en apporte de quoi me nourrir toute l’année, moi et tous mes gens, que ma maison en soit inondée, que les