Page:Plaute - Comédies, traduction Sommer, 1876, tome 2.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ACTE I.



SCÈNE l — DINARQUE.


Une vie tout entière ne suffirait pas pour apprendre à un amant de combien de façons il peut se ruiner. Vénus elle-même qui est l’arbitre suprême du sort des amoureux ne saurait l’instruire à fond de toutes les ruses avec lesquelles on le trompe, de tous les moyens qu’on emploie pour le perdre, de toutes les séductions qu’on met en œuvre pour le fléchir. Que de caresses ! que de colères ! que d’aimables périls ! Et, grands dieux, que de mensonges à faire, sans parler des présents ! D’abord la pension d’une année, c’est le premier coup de filet. Avec cela on obtient trois nuits. Puis elle essaye d’avoir ou de l’argent, ou du vin, ou de l’huile, ou du blé, pour voir si vous êtes généreux ou économe. C’est comme un pêcheur qui s’apprête à lancer ses rets dans le vivier ; dès qu’ils ont touché le fond, il les ramène ; s’il a été adroit, il prend bien garde que les poissons ne se sauvent, il les enveloppe de son mieux, jusqu’à ce qu’il les ait tirés à bord. En amour, il en va de même : si l’amant donne ce qu’on lui demande, s’il est plus libéral que serré, on ajoute quelques nuits, et pendant ce temps, il avale l’hameçon. Une fois qu’il a bu le breuvage d’amour, et que le philtre a bien pénétré dans son cœur, tout aussitôt c’est fait de lui, et de son bien, et de son crédit. Si la maîtresse vient à se fâcher, l’amant est perdu deux fois, et dans sa fortune, et dans sa raison. Veut-il sauver l’une en sacrifiant l’autre, il n’en est pas moins flambé : si les nuits sont rares, c’est la raison qui s’en va ; si elles sont fréquentes, notre homme est content, mais adieu le patrimoine. C’est la règle chez les courtisanes : avant que vous ayez fait un cadeau, elle s’est préparée à vous en demander cent. C’est un bijou perdu, c’est une mante déchirée, c’est une servante achetée, c’est quelque pièce d’argenterie, quelque vase d’airain, ou bien un lit de toute beauté, une armoire grecque, et toujours quelque objet brisé que l’amoureux doit rendre à sa belle. Nous sommes ingénieux à dissimuler nos dépenses, tandis que nous ruinons et notre fortune et notre crédit et nous-mêmes ; il ne faut pas que la famille et les parents s’en doutent. Si, au lieu de nous cacher d’eux, nous les mettions dans la confidence pour