Page:Pline l'ancien - Histoire naturelle, Littré, T1 - 1848.djvu/28

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cet ouvrage, dites-vous ? Achevé depuis longtemps, il reçoit la sanction du temps ; et d’ailleurs mon intention a toujours été d’en remettre la publication à mon héritier, de peur qu’on ne m’accuse d’avoir donné, moi vivant, quelque chose à l’ambition. Aussi je souhaite bon succès à ceux qui me préviendront comme à ceux qui me suivront, et qui, je le sais, entreront en lice avec nous, ainsi que nous avons fait avec nos devanciers.

Vous aurez une preuve de cette humeur dont je suis, en lisant en tête de ces livres le nom des auteurs que j’ai consultés. C’est, en effet, je pense, un acte de bienveillance, et plein d’une candeur honorable, de déclarer quels sont ceux qui nous ont été utiles ; à qui du reste ont manqué la plupart de ceux que j’ai tenus entre les mains. Car sachez qu’en comparant les auteurs j’ai surpris les plus renommés d’entre eux, et les plus voisins de nous, transcrivant les anciens mot pour mot et sans les nommer ; bien éloignés du courage de Virgile, qui lutte avec ses modèles ou de la franchise de Cicéron, qui, dans son livre sur la République, se déclare imitateur de Platon ; qui, dans sa Consolation sur la mort de sa fille, dit : J’ai suivi Crantor, et qui avoue ce qu’il doit à Panætius dans ses Offices, ouvrages dignes, vous le savez, non pas seulement d’être feuilletés continuellement, mais d’être appris par cœur. C’est le fait d’une âme envieuse et d’un esprit malheureux, d’aimer mieux être pris en flagrant délit de vol que de rendre un prêt, d’autant plus qu’il faut finir par le rendre, et avec usure.

Les Grecs ont un merveilleux bonheur dans le choix de leurs titres. Les uns ont intitulé leurs livres κηρίον, pour dire que c’était un rayon de miel ; les autres κέρασ Άμαθείας, corne d’abondance, où vous croiriez pouvoir trouver un merle blanc ; et tant d’autres titres, Champs de violettes 8, Muses, Pandectes, Manuels, Prairies, Tablettes, pour lesquels on manquerait à une assignation. Mais quand vous y êtes une fois entrés, bons dieux ! quel vide ! Nos Romains plus grossiers intitulaient les leurs, les Antiquités, les Exemples, les Arts ; le plus plaisant 9, je pense, est celui qui s’appelant Bibaculus et aimant en effet à boire a choisi Élucubration. Varron a mis un peu d’affectation dans le titre de deux de ses satires, Sesculixes 10 et Flexibula. Chez les Grecs, Diodore, ne badinant plus, donna le nom de Bibliothèque à son histoire. Apion le grammairien, celui que Tibère appelait la cymbale du monde, et qu’on pourrait plutôt appeler la trompette de sa propre 11 renommée, a écrit qu’il immortalisait ceux à qui il adressait quelque chose. Je ne me repens pas de n’avoir rien imaginé de plus joli en fait de titre. Et pour ne pas paraître toujours médire des Grecs, je voudrais 12 qu’on me supposât l’intention de ces maîtres de l’art de peindre et de sculpter qui, vous le verrez dans ces volumes, avaient mis à des œuvres achevées, à des œuvres que nous ne nous lassons pas d’admirer, une inscription suspensive : Apelle faisait ; Polyclète faisait. Ils ne paraissaient voir dans leurs ouvrages que quelque chose de commencé toujours, de toujours imparfait, afin de se ménager un retour contre la diversité des jugements, comme prêts à corriger les défauts signalés, si la mort ne les prévenait pas ; ils ont, par une modestie bien sentie, inscrit chacune de leurs productions comme la dernière ; à chacune ils