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XVII
NOTICE SUR PLINE.

Vincent ne s’écarte guère de l’antiquité que pour les notions théologiques, qui en effet étaient toutes nouvelles, et dérivaient du christianisme. Cependant, malgré cette prédilection, on trouve chez lui quelques traces des faits nouveaux qui s’étaient produits. Ainsi, tandis que l’antiquité n’avait pas connu la numération décimale, ou ne s’en était pas servie, on voit que du temps de Vincent elle était d’un usage commun. Les miroirs métalliques étaient les seuls que les anciens fabriquassent ; mais notre auteur indique de son temps la fabrication de nos miroirs, c’est-à-dire, une lame de verre revêtue sur une de ses faces d’une couche métallique. C’est qu’en effet le moyen âge avait vu éclore et grandir une étude excessivement curieuse, et particulièrement fertile en applications industrielles ; je veux dire l’alchimie.

L’alchimie ne mérite aucunement le dédain qu’on lui a prodigué, soit par une infatuation peu philosophique en faveur de nos progrès, soit par le préjugé défavorable attaché, depuis la renaissance, aux conceptions du moyen âge. La décadence qui depuis environ trois siècles ruine les idées et les institutions de cette grande époque ; la polémique ardente et passionnée qui est sortie de cette lutte ; les révolutions même qui depuis lors ont nettoyé le sol de l’Europe, n’ont pas permis un jugement impartial. Et seulement aujourd’hui que la victoire sur le passé est, on peut le dire, définitivement acquise, l’esprit philosophique sait, en raison de ses nouvelles lumières, peut, sans périls pour sa propre cause, doit, en l’honneur de la vérité historique, rendre au moyen âge ce qui lui appartient. L’alchimie repose, il est vrai, sur une idée erronée, à savoir, la transmutation des métaux ; mais cette idée est fausse, et non pas absurde, et l’expérience seule a pu démontrer à posteriori que les substances métalliques ne sont pas des formes d’une substance unique. Ce fut dans la recherche du grand arcane que les alchimistes, tout occupés autour de leur fourneau, tirent des découvertes très-importantes, esprits, sels, acides énergiques. De la sorte, la chimie, même en cet état embryonnaire et primitif, servit grandement les applications industrielles ; mais surtout l’homme, s’étant accoutumé à étudier dans les creusets les combinaisons moléculaires, ne perdit plus de vue ces phénomènes singuliers ; et il arriva un temps où la chimie scientifique naquit définitivement des théories métaphysiques qui guidaient les alchimistes et des observations nombreuses qu’ils devaient à l’empirisme. L’alchimie est une des créations propres au moyen âge, et un des véritables services qu’il a rendus.

Donc, en considérant l’état social débarrassé de l’esclavage et se préparant à l’affranchissement des communes, la continuation et un certain progrès des sciences, l’acquisition d’agents très puissants et de découvertes capitales, la création dans le champ des beaux-arts d’œuvres originales, on voit que, tout compensé, le moyen âge est en progrès social et politique sur l’antiquité ; et, pour en revenir à notre comparaison entre Vincent de Beauvais et Pline, celui-là n’est inférieur à celui-ci que par les qualités de l’esprit : l’œuvre vaut autant par le fond, et sans peine elle aurait pu valoir beaucoup plus.

Daunou (Histoire littéraire de la France, tom. XVIII, p. 518) a ainsi apprécié Vincent de Beauvais : « Les écrits et les documents qu’on doit lui savoir gré de nous avoir conservés sont ceux qui tiennent à de véritables études, à des doctrines, à des traditions, à des erreurs même qui ont obtenu quelque crédit ou exercé quelque influence dans le cours des âges. Ses livres nous offrent en effet un tableau, ou, pour conserver leur titre, un miroir des travaux, des progrès, des écarts de l’esprit humain ; c’est par là qu’il se recommande ; il n’y a plus guère d’autre instruction immédiate à y chercher aujourd’hui. Ils n’ont presque plus rien à nous enseigner, nais beaucoup à raconter. Toutes les fois qu’on voudra savoir quelles étaient en France, vers 1250, la direction et les matières des plus hautes études, quelles sciences on cultivait, quels livres, soit anciens, soit alors modernes, étaient lus ou pouvaient l’être ; quels auteurs étaient connus ou ignorés, admirés ou négligés ; quelles questions s’agitaient, quelles controverses se perpétuaient ; quelles opinions, quelles doctrines prévalaient dans les écoles, dans les monastères, dans les églises, dans le monde ; ce sera surtout à Vincent de Beauvais qu’il faudra le demander. De tous les ouvrages du treizième siècle, le sien est celui qui peut jeter le plus de jour sur l’ensemble et sur plusieurs détails de l’histoire littéraire de cet âge. »

L’appréciation de Vincent de Beauvais par Daunou est de tout point applicable à Pline, et je n’en veux pas d’autre pour l’auteur latin.


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pline. — t. I.