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Page:Pline l'ancien - Histoire naturelle, Littré, T2 - 1850.djvu/522

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et nous montrerons que leurs extravagances ont été surpassées par les constructions d’un simple citoyen, de M. Scaurus. Je ne sais si son édilité ne fut pas le plus grand fléau des mœurs, et si ce n’est pu un plus grand crime à Sylla d’avoir donné tant de puissances à son beau-fils, que d’avoir proscrit tant de citoyens. Il fit dans son édilité, et seulement pour durer quelques jours, le plus grand ouvrage qui ait jamais été fait de main d’homme, même pour une destination perpétuelle.

11 C’était un théâtre à trois étages, ayant trois cent soixante colonnes, et cela dans une ville où six colonnes de marbre d’Hymette, chez un citoyen très considérable (XVII, 1, 4 ; XXXVI, 3), avaient excité des murmures. Le premier étage était en marbre : le second en verre, genre de luxe dont il n’y a plus eu d’exempte; le troisième, en bois doré. Les colonnes du premier étage avaient, comme nous l’avons dit (XXXVI, 2), trente-huit pieds. Des statues d’airain au nombre de trois mille étaient, ainsi que nous l’avons indiqué (XXXIV, 17), placées entre les cotonnes.

12 L’enceinte contenait quatre vingt mille spectateurs ; et cependant le théâtre de Pompée, bien que la ville se soit beaucoup agrandie et que la population ait beaucoup augmenté, suffit grandement avec ses quarante mille places. Le reste de l’appareil, en étoffes attaliques, en tableaux et autres ornements de la scène, était si considérable, que, Scaurus ayant fait porter dans sa maison de Tusculum ce que ne réclamait pas son luxe de chaque jour, et ses esclaves ayant brûlé la maison par vengeance, la perte fut de 100 millions de sesterces (21 millions de fr.).

13 La considération de telles prodigalités m’entraîne, et me force à sortir de mon sujet, et à y joindre une autre extravagance, encore plus grande, touchant le bois. C. Curion, qui mourut pendant la guerre civile dans le parti de César, donnait des jeux funèbres en l’honneur de son père. Il ne pouvait surpasser Scaurus en riches ses et en magnificence : en effet, il n’avait pas Sylla pour beau-père et pour mère Métella, adjudicatrire des biens des proscrits ; il n’avait pas pour père M. Scaurus, tant de fois prince de la cité, et gouffre qui avait englouti les dépouilles des provinces dans les coalitions avec Marius. Déjà Scaurus le fils ne pouvait plus rivaliser avec lui-même; et de cet incendie de tant d’objets apportés de toutes les parties de l’univers il avait du moins tiré l’avantage que personne à l’avenir ne lutte rait de folie avec lui.

14 Force fut à Curion de devenir ingénieux, et d’imaginer quelque chose. Voyons donc ce qu’il inventa ; apprenons à nous applaudir de nos mœurs, et, retournant l’expression, disons-nous des hommes de l’ancien temps. Il fit construire deux théâtres en bois, très spacieux et juxtaposés, chacun en équilibre et tournant sur un pivot : avant midi, pour le spectacle des jeux, ils étaient adossés, afin que le bruit d’une des deux scènes ne gênât pas l’autre; l’après-midi, tournant tout à coup, ils se trouvaient face à face, les fonds se séparaient, les angles se réunissaient, et il se formait un amphithéâtre pour des gladiateurs moins compromis que le peuple romain ainsi promené.

15 Car ici que faut-il admirer de préférence, l’inventeur ou l’invention , l’exécuteur ou l’auteur du projet, celui qui osa imaginer une telle entreprise ou celui qui osa s’en charger, celui qui obéit ou celui qui commande ? Mais ce qui est par-dessus tout, c’est la frénésie du peuple, osant s’asseoir sur un siège aussi peu solide et aussi dangereux. Le voilà, ce peuple vainqueur de la terre, conquérant de l’univers entier, qui régit les nations et les royau-