Page:Pline le Jeune - Panégyrique de Trajan, trad. Burnouf, FR+LA, 1845.djvu/99

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à la face de Jupiter très bon et très grand ; comme si nous tenions de lui tout ce que nous tenons de vous, comme si tous vos bienfaits étaient l’œuvre du dieu à qui nous vous devons. Ce n’est plus le temps où l’on voyait, sur le chemin du Capitole, d’immenses troupeaux de victimes, interceptés, pour ainsi dire, et détournés de leur route, aller tomber en grande partie devant la plus affreuse image du plus féroce tyran, pour laquelle le sang des animaux coulait aussi abondamment que lui-même versait le sang des hommes.

LIII- Tout ce que je dis en ce moment, pères conscrits, et tout ce que j’ai dit sur les autres princes, a pour but de montrer quelle longue et funeste habitude avait dépravé et corrompu le pouvoir, quand le père de la patrie est venu le réformer et en redresser les voies ; d’ailleurs la louange ne reçoit tout son prix que de la comparaison. Et c’est aussi le premier devoir de la reconnaissance envers un excellent empereur, de condamner sévèrement ceux qui ne lui ressemblent pas. Ce serait aimer trop peu les bons princes, que de ne pas haïr assez les mauvais. Ajoutez que, de tous les mérites de notre empereur, il n’en est pas de plus grand ni de plus populaire que la liberté qu’il laisse de faire le procès aux tyrans. Notre douleur a-t-elle oublié que Néron a eu récemment un vengeur ? Eût-il permis qu’on attaquât la mémoire et la vie de ce prince, celui qui vengeait sa mort ? et eût-il manqué de s’appliquer à lui-même le mal qu’on eût dit de son pareil ? Aussi, César, j’estime à l’égal de tous vos autres bienfaits, au-dessus même de plusieurs, le droit que nous pouvons exercer chaque jour de faire justice, au nom du passé, des tyrans qui ne sont plus, et d’avertir par cet exemple les tyrans à venir, qu’il n’est aucun lieu, aucun temps qui puisse donner le repos à leurs mânes, et soustraire les fléaux de la patrie à l’exécration de la postérité. Ne craignons donc pas, pères conscrits, de faire éclater nos douleurs et nos joies : réjouissons-nous des biens présents, gémissons des maux passés. On doit faire l’un et l’autre à la fois sous un bon prince. Que ce soit là le fond de nos pensées, de nos entretiens, de nos actions de grâces même, et souvenons-nous que le plus bel éloge qu’on puisse faire de l’empereur vivant, c’est de censurer ceux d’avant lui qui méritèrent le blâme : car le silence de la postérité sur un