Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/101

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un jour à sa maison, près de Rome : c’était sous Domitien. Il souffrait des tourmens inouis ; la douleur n’attaquait plus seulement ses pieds, elle parcourait tout son corps. Dès que je parus, ses valets se retirèrent : il avait établi cet ordre chez lui, que quand un ami intime entrait dans sa chambre, tout le monde en sortait, même sa femme, quoiqu’elle fût d’ailleurs d’une discrétion éprouvée. Après avoir jeté les yeux autour de lui : Savez-vous bien, dit-il, pourquoi je me suis obstiné a vivre si long-temps, malgré des maux insupportables ? c’est pour survivre au moins un jour à ce brigand ; et j’en aurais eu le plaisir, si mes forces n’eussent pas démenti mon courage[1] . Ses vœux furent pourtant exaucés : il eut la satisfaction d’expirer libre et tranquille, et de n’avoir plus à rompre que les autres liens, en grand nombre, mais beaucoup plus faibles, qui l’attachaient à la vie. Ses douleurs redoublèrent ; il essaya de les adoucir par le régime. Elles continuèrent : il s’en délivra par son courage. Il y avait déjà quatre jours qu’il n’avait pris de nourriture, quand Hispulla sa femme, envoya notre ami commun, C. Geminius, m’apporter la triste nouvelle, que Corellius avait résolu de mourir ; que les larmes de sa femme, les supplications de sa fille ne gagnaient rien sur lui, et que j’étais le seul qui pouvais le rappeler à la vie. J’y cours : j’arrivais, lorsque Julius Atticus, de nouveau dépêché vers moi par Hispulla, me rencontre et m’annonce que l’on avait perdu toute espérance, même celle que l’on avait en moi, tant Corellius paraissait affermi dans sa détermination. Il venait de répondre à son médecin, qui le pressait de prendre des alimens : Je l’ai résolu ; parole qui me remplit tout à la fois d’admiration et de douleur. Je ne cesse de penser quel ami, quel

  1. Et j’en aurais eu le plaisir, etc. De Sacy a réuni la phrase : dedisses huic, etc. , au discours de Corellius. J’ai suivi son sentiment, malgré l’opinion de Gesner, de Lallemand, et de Schæfer, qui mettent cette phrase dans la bouche de Pline. Comment, avec leur interprétation, entendre la phrase suivante : Affuit tamen voto deus ? On sait d’ailleurs que Corellius vivait encore sous Nerva ( voyez liv. iv, 17). Pline ne peut donc pas dire qu’avec un corps plus robuste, Corellius aurait survécu au tyran : c’est Corellius qui peut le dire, persuadé qu’il va mourir avant Domitien.