Vous me demandez s’il vous convient[1] de plaider pendant que vous êtes tribun. Pour se bien déterminer, il est bon de savoir quelle idée vous vous faites de cette dignité. Ne la regardez-vous que comme un vain honneur, comme un titre sans réalité[2] ? ou la croyez-vous une puissance sacrée, une autorité respectable à tout le monde, même à celui qui en est revêtu[3] ? Pour moi, tant que j’ai exercé cette charge[4], j’ai peut-être eu tort de me croire un personnage important ; mais je me suis conduit comme si je l’étais, et je me suis abstenu de plaider. J’ai cru qu’il était contre la bienséance, que le magistrat à qui la première place est due en tout lieu, devant qui tout le monde devait se tenir debout, se tînt debout lui-même, pendant que tout le monde serait assis ; que lui, qui a droit d’imposer silence, reçut de la clepsydre l’ordre de se taire[5] ; que lui, qu’il n’est pas permis d’interrompre, fût exposé à s’entendre dire des injures, traité de lâche s’il les souffre, de superbe s’il s’en venge. J’y voyais un autre embarras. Que faire, si l’une des parties venait à réclamer ma protection ? Aurais-je usé de mon pouvoir ? ou bien serais-je demeuré muet et immobile, me dégradant moi-même, en quelque sorte, et me réduisant à la condition d’un simple particulier ? J’ai donc mieux aimé être le tribun de tous nos citoyens, que l’avocat de quelques-uns. Pour vous, je vous le répète, tout dépend de savoir ce que vous pensez du rang que
- ↑ Vous me demandez s’il vous convient, etc. J’ai rétabli, d’après Schæfer, causas agere decere. C’est évidemment cette leçon que De Sacy avait adoptée pour sa traduction.
- ↑ Un titre sans réalité. Toutes les magistratures n’étaient réellement que de vains titres, depuis que les empereurs avaient réuni toute la puissance dans leurs mains.
- ↑ Respectable, etc. Le latin porte quam in ordinem cogi a nullo deceat. C’était l’expression consacrée. (Voyez Tite-Live, xxv, 3 et 4 ; xliii, 16.)
- ↑ Tant que j’ai exercé cette charge. Pline avait été tribun sous Domitien.
- ↑ La clepsydre. Horloge d’eau. (Voyez les Lettres de Pline, iv, 9 ; vi, 2, 5 et 7).