Aller au contenu

Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
LETTRES DE PLINE. LIV. II.

et je me fâche d’avance, comme si le motif en était aussi légitime qu’il est grave[1]. Quoi ! si long-temps sans me donner de vos nouvelles ! Vous n’avez plus qu’un moyen de m’apaiser ; c’est de m’écrire à l’avenir fort souvent, et de très-longues lettres. Je ne reçois que cette seule excuse ; je traiterai toutes les autres de mensonges. Je ne me paierai pas de ces défaites usées : Je n étais point à Rome, j’étais accablé d’occupations ; car pour l’excuse, j’étais malade, aux dieux ne plaise que vous puissiez vous en servir ! Moi, je me partage ici entre l’étude et la paresse, ces deux enfans de l’oisiveté. Adieu.


III.
Pline à Nepos[2].

Isée avait été précédé d’une brillante réputation ; et l’on a trouvé sa réputation au dessous de son mérite. Rien n’égale la facilité, la variété, la richesse de son élocution. Jamais il ne se prépare, et il parle toujours comme s’il était préparé[3]. C’est la perfection du langage grec, ou plutôt de la langue attique[4]. Ses exordes ont de la grâce, de la délicatesse et de la douceur, quelquefois de la grandeur et de la majesté. Il demande plusieurs sujets de discussion, prie les auditeurs d’en choisir un, et souvent même de lui indiquer l’opinion qu’il doit soutenir. Il se lève, il se compose[5], il commence : tout se trouve presque à la fois sous sa main. Ses pensées sont profondes, et les mots semblent voler au devant des pensées. Mais quels mots ! les mieux choisis, les plus élégans. On sent, à ses discours les moins étudiés, qu’il a

  1. Mais ici j’aurais matière, etc. De Sacy avait traduit : Mon chagrin est très-grand ; peut-être, etc. Ce n’est pas le sens : il s’agit, non pas du chagrin, mais du motif de ce chagrin : sans cela, hœc causa magna est serait une inutile répétition de l’idée exprimée par irascor. Remarquez qu’avec le sens qu’il adopte, De Sacy n’a pas pu traduire tamen.
  2. Nepos. On croit que ce Nepos, homme éloquent et instruit, est celui dont parle Martial, vi, 27.
  3. Et il parle toujours comme s’il était préparé. On a élevé des doutes très-graves sur les improvisations d’Isée. Philostrate dit positivement, dans la Vie des sophistes (i, 20, 2), qu’Isée n’improvisait jamais, et qu’il passait toute la matinée à préparer ses dissertations et ses harangues. Hermogène prétend que c’était la méthode de tous les anciens rhéteurs. Il faut convenir toutefois qu’Isée ne
  4. C’est la perfection du langage grec, etc. Le contresens de De Sacy est formel. Il traduit : Il se sert de la langue grecque, ou plutôt de l’attique. Ce détail serait froid dans un éloge, et surtout après ce trait dicit tanquam diu scripserit. L’énumération suivante : prœfationes tersœ, graciles, dulces, sert encore à déterminer, par la liaison des idées, le sens de sermo grœcus. Le langage, le style d’Isée à la grâce qui est propre à la langue grecque, et même celle qui distingue le dialecte attique. Ceci est une louange : c’est ce que De Sacy n’a pas senti.
  5. Il se compose. Le latin dit, il arrange sa robe. Leniter est consurgendum (dit Quintilien, xi, 3, 156) ; tum in componenda toga, vel, si necesse erit, etiam ex integro injicienda, duntaxat in judiciis, paullum commorandum, ut et amictus sit decentior, et protinus aliquid spatii ad cogitandum. Pline dit encore, iv, ii : Postquam se composuit, circumspexitque habitum suum, etc.