Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/195

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de nos avocats, sans vous donner la peine d’entrer et de prêter votre attention, il vous sera facile de le deviner. Voici une règle sûre : plus les marques d’approbation sont bruyantes, moins l’orateur a de talent.

Largius Licinius amena le premier cette mode[1] ; mais il se contentait de rassembler lui-même ses auditeurs : je l’ai ouï raconter à Quintilien mon maître. «J’accompagnais, disait-il, Domitius Afer, qui plaidait devant les centumvirs avec gravité et d’un ton fort lent ; c’était sa manière. Il entendit dans une salle voisine un bruit extraordinaire : surpris, il se tut. Le silence succède ; il reprend où il en est demeuré. Le bruit recommence, il s’arrête encore une fois. On se tait, il continue à parler. Interrompu de nouveau, il demande enfin le nom de l’avocat qui plaide : on lui répond que c’est Licinius : Centumvirs, dit-il alors avant de reprendre son plaidoyer, l’éloquence est perdue. » C’est aujourd’hui que cet art, qui ne commençait qu’à se perdre lorsque Afer le croyait déjà perdu, est entièrement éteint et anéanti. J’ai honte de vous dire quelles acclamations sont prodiguées par nos auditeurs imberbes[2] aux plus mauvais discours et au débit le plus monotone. En vérité, il ne manque à cette psalmodie, que des battemens de mains[3], ou plutôt que des cymbales et des tambours. Pour des hurlemens (un autre mot serait trop doux), nous en avons de reste, et le barreau retentit d’acclamations indignes du théâtre même. Mon âge pourtant et l’intérêt de mes amis m’arrêtent encore. Je crains que l’on ne me soupçonne de fuir ces infamies beaucoup moins que le travail. Cependant je commence à me montrer au barreau plus rarement qu’à l’ordinaire, ce qui me conduit insensiblement à l’abandonner tout à fait. Adieu.

  1. Amena le premier, etc. Il est curieux de retrouver dans l’histoire de l’éloquence romaine, à l’époque de sa décadence, l’originede ces honteuses cabales, qui ont reparu chez nous à l’époque dela décadence du théâtre.
  2. Nos auditeurs imberbes. Remarquez que teneris ne peut signifier flatteur, comme l’a voulu De Sacy. Pline me semble plutôt désigner par ce mot l’âge et l’inexpérience de ceux qui applaudissent. Il a déjà dit qu’on ne voyait plus au barreau que des enfans, traînant avec eux, pour les applaudir, des enfans du même âge : il a parlé de deux domestiques à peine sortis du premier âge, entraînés au barreau et chargés du succès d’un plaidoyer. Au reste, je ne disconviens pas que teneri clamores pour tenerorum clamores ne soit très-hardi en prose.
  3. Des battemens de mains, etc. On voit par ce passage que les cabaleurs d’autrefois différaient des nôtres en ce que les battemens