Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/245

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on eût dit, à son exactitude, qu’il y était forcé par une loi. Et tout cela se faisait au milieu des occupations et du tumulte de la ville. Dans la retraite, il n’y avait que le temps du bain qui fût sans travail : je veux dire le temps qu’il était dans l’eau[1] ; car pendant qu’il se faisait frotter et essuyer[2], il ne manquait point ou de lire ou de dicter. Dans ses voyages, comme s’il eût été dégagé de tout autre soin, il se livrait sans partage à l’étude : il avait toujours à ses côtés son livre, ses tablettes, et son secrétaire, auquel il faisait prendre ses gants en hiver, afin que la rigueur même de la saison ne pût dérober un moment au travail. C’était par cette raison qu’à Rome il n’allait jamais qu’en chaise. Je me souviens qu’un jour il me reprit de m’être promené. Vous pouviez, dit-il, mettre ces heures à profit ; car il comptait pour perdu tout le temps que l’on n’employait pas aux sciences. C’est par cette prodigieuse application qu’il a su achever tant d’ouvrages, et qu’il m’a laissé cent soixante tomes d’extraits, écrits sur la page et sur le revers, en très-petits caractères ; ce qui rend la collection bien plus volumineuse encore qu’elle ne le paraît. Il m’a souvent dit que, lorsqu’il était intendant en Espagne, il n’avait tenu qu’à lui de la vendre à Largius Licinius quatre cent mille sesterces ; et alors ces mémoires n’étaient pas tout à fait aussi étendus.

Quand vous songez à cette immense lecture, à ces ouvrages infinis qu’il a composés, ne croiriez-vous pas qu’il n’a jamais été ni dans les charges, ni dans la faveur des princes ? Et cependant, quand vous apprenez combien il consacrait de temps à l’étude et au travail, ne trouvez-vous pas qu’il aurait bien pu lire et composer davantage[3] ? Car, d’un côté, quels obstacles les charges et la Cour ne

  1. Le temps qu’il était dans l’eau. Gesner et Ernesti, pour expliquer interioribus, sous-entendaient studiis, et interprétaient ainsi : Quand je dis qu’il ne travaillait pas dans le bain, je veux parler des travaux qui supposent les méditations les plus profondes. Mais Schœfer a fort bien remarqué que, par la construction de la phrase, interioribus ne peut se rapporter qu’à balinei : Interpretor res, dit-il, quœ in secretioribus balinei locis fiunt, id est, lotiones ; quibus opponuntur exteriora, puta strigilis usus, etc.
  2. Se faisait frotter. C’est le sens de destringitur, qui équivaut à strigili raditur, defricatur. Martial, xiv, 51 : Pergamus has misit curvo distringere ferro. De Sacy a fait un contresens, en traduisant pendant qu’il sortait du bain.
  3. Quand vous apprenez, etc. Quelques commentateurs ont trouvé le sens tellement obscur, qu’ils imaginaient une faute dans le texte. Cependant le passage de Pline peut s’expliquer d’une manière très-satisfaisante : « Quand on songe à tant d’ouvrages composés par Pline l’ancien, on se persuade qu’il n’a jamais exercé de charge publique : car les occupations journalières d’un emploi sont un obstacle à l’étude. Et d’un autre côté, quand on sait tout le temps qu’il parvenait, malgré tant d’obstacles, à consacrer au travail, on s’étonne qu’il n’ait pas encore écrit davantage : car on peut beaucoup attendre d’une application si opiniâtre. »