Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/261

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gens de lettres, soient fort peu disposés à s’entendre : cependant il n’y eut pas entre nous la moindre division. Sans écouter l’amour-propre, nous marchions d’un pas égal où nous appelait le bien de la cause. La complication de l’affaire et l’utilité de nos cliens nous semblèrent exiger que chacun de nous ne renfermât pas tant d’actions différentes dans un seul discours. Nous craignions que le jour, que la voix, que les forces ne nous manquassent, si nous rassemblions, comme en un seul corps d’accusation, tant de crimes et tant de criminels. Tous ces noms, tous ces faits différens nouvaient d’ailleurs, non-seulement épuiser l’attention des juges, mais même confondre leurs idées. Nous appréhendions encore que le crédit particulier de chacun des accusés ne devînt commun à tous par le mélange. Enfin, nous voulions éviter que le plus puissant ne livrât le plus faible comme une victime expiatoire, et ne se sauvât en le sacrifiant : car jamais la faveur et la brigue n’agissent plus sûrement, que lorsqu’elles peuvent se couvrir du masque de la sévérité. Nous avons songé à Sertorius, ordonnant au plus fort et au plus faible de ses soldats d’arracher la queue d’un cheval[1]. . . vous savez le reste. Nous jugions de même que nous ne viendrions à bout d’un si gros escadron d’accusés, qu’en les détachant les uns des autres. La première chose que nous crûmes devoir établir, c’est que Classicus était coupable : c’était une préparation nécessaire à l’accusation de ses officiers et de ses complices, qui ne pouvaient être reconnus criminels, s’il était innocent. Nous en choisîmes deux, pour les accuser avec lui dès le premier moment, Bébius Probus et Fabius Hispanus, l’un et l’autre redoutables par leur crédit, Hispanus même par son éloquence.

  1. Sertorius, ordonnant, etc. Sertorius voulant prouver à ses soldats que la patience et l’adresse triomphaient souvent des difficultés contre lesquelles le courage et la force ne pouvaient rien, fit amener deux chevaux, l’un jeune et vigoureux, l’autre vieux et malade. Un soldat très-robuste eut l’ordre d’arracher, d’un seul coup, la queue de ce dernier, en la saisissant à deux mains : il es