Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/399

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j’étais près de me désister, s’il me pouvait prouver qu’il eût été déshérité injustement. J’y consens, reprit-il, et je ne veux point d’autre juge que vous. Après avoir hésité un moment : Je le veux bien, lui dis-je ; car je ne vois pas pourquoi j’aurais de moi moins bonne opinion que vous-même : mais souvenez-vous que rien ne m’ébranlera, si la justice m’engage à décider pour votre mère. — Comme vous voudrez, répondit-il ; car vous ne voudrez jamais que ce qui sera juste. Je choisis donc, pour prononcer avec moi, deux des hommes qui jouissaient alors dans Rome de la plus haute estime, Corellius et Frontinus. Assis au milieu d’eux, je donnai audience à Curianus dans une chambre. Il dit tout ce qu’il crut pouvoir établir la justice de ses plaintes. Je répliquai en peu de mots ; car personne n’était là pour défendre l’honneur de la testatrice. Après cela, je m’éloignai de lui pour délibérer ; et ensuite, de l’avis de mon conseil, je lui dis : Il paraît, Curianus, que le ressentiment de votre mère était juste. Quelque temps après, il fait assigner mes cohéritiers devant les centumvirs ; il n’excepte que moi. Le jour du jugement approchait. Tous mes cohéritiers souhaitaient une transaction ; non qu’ils se défiassent de leur cause, mais les circonstances leur faisaient peur. Ils appréhendaient (ce qu’ils avaient vu plus d’une fois arriver à d’autres), qu’au sortir d’un procès civil devant les centumvirs, ils ne tombassent dans un procès criminel et capital. Il en était plusieurs, contre qui l’amitié de Gratilla et de Rusticus pouvait fournir un prétexte d’accusation[1]. Ils me prient de pressentir Curianus. Je prends rendez-vous avec lui dans le temple de la Concorde. Là je lui dis : Si votre mère vous eût institué héritier pour

  1. Pouvait fournir un prétexte d’accusation. C’était sous Domitien : Rusticus avait été assassiné, Gratilla, sa femme, exilée : il s’agissait de la succession de celle-ci, et l’on conçoit que son amitié pouvait devenir fatale à ceux qu’elle avait cru devoir préférer à son fils.