Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/65

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tant d’efforts, pour lutter avec les grands modèles[1]. J’ai essayé d’imiter Démosthènes, dont vous avez toujours fait vos délices, et Calvus[2], dont je fais depuis peu les miennes. Quand je dis imiter, je parle seulement de la tournure du style ; car, pour atteindre au génie de ces grands hommes, il faut

.....................Le privilège heureux
Réservé sur la terre aux favoris des dieux[3].

Mon sujet, soit dit sans amour-propre, secondait mon ambition ; il exigeait une véhémence de diction presque continuelle : il n’en fallait pas moins pour réveiller ma longue paresse, si tant est qu’elle puisse être réveillée. Cependant je n’ai pas entièrement dédaigné les fleurs de style de notre Cicéron[4], toutes les fois que j’ai pu en cueillir sans trop m’écarter de mon chemin. Je cherchais la force, mais sans renoncer à la grâce.

Ne croyez pas que, sous ce prétexte, je prétende désarmer votre critique : au contraire, pour la rendre encore plus sévère, sachez que mes amis et moi nous ne sommes pas éloignés de l’idée de publier cet ouvrage, et que nous en ferons la folie, pour peu que vous nous encouragiez. Il faut bien que je publie quelque chose ; et pourquoi ne pas donner la préférence à ce qui est tout prêt ? vous reconnaissez là votre paresseux. Quant aux motifs qui me déterminent à faire paraître un ouvrage[5], j’en ai plusieurs : le principal, c’est qu’on m’assure que mes derniers écrits sont encore entre les mains de tout le monde, quoiqu’ils aient perdu le charme de la nouveauté. Peut-être les libraires veulent-ils me flatter : mais puissent-ils nous tromper toujours, si leurs mensonges nous rendent nos études plus chères ! Adieu.

  1. Je crois n’avoir jamais fait tant d’efforts, pour lutter avec les grands modèles. J’ai préféré ici la leçon qui dit ζήλῳ, à celle qui porte stilo, comme plus liée à ce qui suit. D. S. ( Il est difficile en effet d’imaginer qu’un copiste ait changé stilo en ζήλῳ, et il est très-naturel, au contraire, de croire que stilo se sera glissé dans le manuscrit comme interprétation ou comme glose du mot grec. On ne s’étonnera pas de trouver souvent des mots grecs dans les Lettres de Pline. La langue grecque, cultivée depuis quelque temps à Rome, jouit surtout d’une faveur particulière du temps de notre auteur. Elle était devenue presque aussi populaire que le latin l’est chez nous, et les Romains s’en servaient avec enjouement dans leurs lettres, comme nous nous servons des citations et des formules latines. Ce mélange des deux langues ne fut pas tout au profit de la langue latine : c’est à cette époque que s’introduisirent dans celle-ci les grécismes, qui altérèrent peu à peu sa pureté et son génie. )
  2. Calvus. C. Licinius Calvus, fils de l’historien C. Licinius Macer, était un orateur et un poète célèbre, contemporain de Cicéron. Un jour Vatinius, contre lequel il plaidait, craignant d’être condamné, l’interrompit, avant la fin de son plaidoyer, en disant aux juges : Eh ! quoi, serai-je condamné comme coupable, parce que mon accusateur est éloquent ! (Voyez dans le 31e vol. des Mémoires de l’Académie des Inscriptions une notice sur cet écrivain, par M. de Burigny, où se trouve réuni tout ce que les anciens disent de C. Licinius Calvus. ) Il a plu à quelques critiques de rejetter le nom de Calvus, et de lire : Tentavi enim imitari Demosthenem, semper tuum, nuper meum. Gesner observe très-bien qu’on ne se serait pas avisé d’introduire le nom de Calvus (cité d’ailleurs encore par Pline, liv. IV, 27, et liv. V, 3), s’il n’avait pas été dans les anciens textes. J’ajoute que tantorum virorum, qui vient après, semble demander un autre nom d’écrivain, après celui de Démosthène.
  3. Réservé, etc. Il convenait de traduire par un vers la citation empruntée à Virgile (Æn. , VI, 129).
  4. Les fleurs de style de notre Cicéron. Cicéron lui-même, dans ses lettres à Atticus, 1, 14, a employé le mot grec, dont Pline se sert ici : Totum hunc locum, quem ego varie meis orationibus soleo pingere, de flamma, de ferro (nosti illas ληκύθους) valde graviter pertexuit.
  5. Quant aux motifs, etc. De Sacy n’avait pas entendu la phrase, en traduisant mais pourquoi se faire auteur ? Pline l’était déjà depuis long-temps, et, dans la phrase qui suit immédiatement, il parle des ouvrages qu’il a publiés, et qui sont encore entre les mains de tout le monde, quoiqu’ils aient perdu le charme de la nouveauté.