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V. - Pline à Voconius Romanus.

VÎtes-vous jamais homme plus lâche et plus rampant que Regulus[1], depuis la mort de Domitien ? Vous savez que, sous son empire, Regulus, quoiqu’il sauvât mieux les apparences, ne fut pas plus honnête homme qu’il ne l’avait été à la cour de Néron. Il s’est avisé de craindre que je n’eusse du ressentiment contre lui. Il n’avait pas tort ; je lui en voulais. Non content d’avoir fomenté la persécution exercée contre Rusticus Arulenus[2], il avait triomphé de sa mort, jusqu’à lire en public, et à répandre un livre injurieux, où il le traite de singe des stoïciens, et d’ homme qui porte les stigmates de Vitellius. Vous reconnaissez là l’éloquence de Regulus. Il déchire avec tant d’emportement Herennius Senecion[3], que Metius Carus, son rival dans le noble métier de délateur, n’a pu s’empêcher de lui dire : Quel droit avez-vous sur mes morts ? Me voit-on remuer les cendres de Crassus ou de Camerinus[4] ? C’étaient des personnes illustres que, du temps de Néron, Regulus avait accusées. Il lut en public son dernier livre : il ne m’invita point, persuadé que je n’avais rien oublié de toutes ces indignités.

Il se souvenait d’ailleurs qu’il m’avait mis moi-même en un terrible danger, devant les centumvirs[5]. Je parlais, à la recommandation de Rusticus Arulenus, pour Arionille, femme de Timon, et j’avais Regulus contre moi. Je fondais en partie mon droit et mes espérances sur une opinion de Metius Modestus, homme

  1. Regulus, Méchant homme et mauvais avocat (voy. liv. iv, 7). Il avait exercé le métier de délateur sous Néron et sous Domitien.
  2. Rusticus Arulenus. Homme de bien qui avait guidé la jeunesse de Pline : Domitien le fit mourir pour avoir loué Thraseas (Tacit. , Agric, 2). Il avait reçu une blessure sous les murs de Rome, dans les dernières mêlées qui précédèrent la chute de Vitellius. Regulus lui reprochait cette blessure, et en comparait l’honorable cicatrice aux stigmates de l’esclavage.
  3. Herennius Sénecion. Domitien l’avait fait mourir, sur l’accusation de Metius Carus (liv. VII, 19).
  4. De Crassus ou de Camerinus. Accusés par Regulus, et condamnés (Tacite, Hist. , 1, 48 ; Ann. , XIII , 52).
  5. Devant les centumvirs. Le tribunal des centumvirs avait d’abord été composé de cent juges : dans la suite on en ajouta cinq, et les empereurs en portèrent même le nombre à cent quatre-vingt.