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Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/85

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gloire la suit ; et l’on expose moins les belles actions à la malignité, en les laissant dans l’ombre. Plein de ces pensées, je me demande souvent, si je dois avoir composé mon discours pour le public, ou seulement pour moi. La preuve que je dois avoir travaillé pour moi, c’est que les accessoires les plus nécessaires à une action de ce genre, ne conservent, après l’action, ni leur prix ni leur mérite[1].

Sans aller plus loin chercher des exemples, peut-on douter qu’il ne me fût très-utile d’expliquer les motifs de ma munificence ? J’y trouvais plusieurs avantages à la fois : j’arrêtais mon esprit sur de nobles pensées ; une longue méditation m’en dévoilait mieux toute la beauté ; enfin, je me précautionnais contre le repentir inséparable des libéralités précipitées. C’était comme une occasion de m’exercer au mépris des richesses. Car, tandis que la nature attache tous les hommes au soin de les conserver, l’amour raisonné d’une libéralité bien entendue me dégageait de ce commun lien de l’avarice. Il me semblait que ma générosité serait d’autant plus méritoire, que j’y étais entraîné par la réflexion, et non par un brusque caprice. Une dernière considération me déterminait encore. Ce n’étaient pas des spectacles ou des combats de gladiateurs que je proposais, c’étaient des pensions qui assurassent à des jeunes gens d’honnête famille les secours que la fortune leur refusait[2]. On n’a pas besoin de faire valoir les plaisirs qui charment les yeux ou les oreilles ; et, lorsqu’il s’agit de ces sortes de jouissances, l’orateur doit plutôt em-

  1. La preuve que je dois, etc. De Sacy a traduit sur un texte ainsi ponctué… an et aliis debeamus, ut nobis. Admonet illud, etc. C’est l’ancienne leçon, et elle me semble peu favorable à la liaison des idées. Plein de ces pensées, dit De Sacy, je me demande souvent, si j’ai prétendu, par ma harangue, travailler pour le public ou seulement, etc. Cette phrase suppose évidemment une réponse, et voici cependant la phrase suivante, dans l’ancienne version du traducteur :Je sens bien même que les accompagnemens les plus nécessaires à une action d’éclat, etc. Cela s’enchaîne mal, et plus mal encore avec l’idée suivante. Barthius a proposé une ponctuation qui éclaircit très-heureusement toutes ces idées. Pline s’interroge : « Est-ce pour moi ; est-ce pour le public, que je dois avoir composé mon discours ? » Nobisne tantum, quidquid illud est, composuisse, an et aliis debeamus ? Il se répond ensuite : « La preuve que c’est pour moi, c’est que, etc. » Ut nobis (sous-entendu composuisse debeamus), admonet istud, quod, etc. Rien de plus satisfaisant que cette correction, sous le double rapport du sens et de la latinité. Aussi Gesner, Heusinger et Schæfer l’ont-ils adoptée.
  2. Qui assurassent, etc. Pline suivait l’exemple de Trajan, qui, le premier, institua des pensions destinées à l’éducation de jeunes gens pauvres, mais de bonne famille.