Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/95

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une longue barbe toute blanche. Ces dehors, tout indifférens qu’ils paraissent, ajoutent singulièrement à la vénération qu’on a pour lui. Ses habits sont propres, sans affectation : son air est sérieux, sans être chagrin : son abord inspire le respect, sans imprimer la crainte. Son extrême politesse égale la pureté de ses mœurs : il fait la guerre aux vices, et non pas aux hommes : il ramène ceux qui s’égarent, et ne leur insulte point. On est si charmé de l’entendre, qu’après même qu’il vous a persuadé, vous voudriez qu’il eût à vous persuader encore. Trois enfans composent sa famille : il a deux fils, et il n’oublie rien pour leur éducation. Pompée Julien, son beau-père, est recommandable par sa vie entière ; il s’est honoré surtout par le choix de son gendre, puisque, tenant le premier rang dans sa province, il a cependant choisi la vertu plutôt que la naissance et la fortune.

Mais il faut que je n’aime guère mon repos, pour m’étendre si fort sur les louanges d’un ami qui est comme perdu pour moi. Ai-je donc peur de ne point sentir assez ma perte ? Malheureuse victime d’un emploi qui, tout important qu’il est, me paraît plus fâcheux encore[1], je passe ma vie à écouter, à juger des plaideurs, à répondre à des requêtes[2], à faire des réglemens, à écrire nombre de lettres, mais où les belles-lettres ne sont pour rien. Je m’en plains quelquefois à Euphrate ( et encore combien est-il rare que j’aie seulement le plaisir de me plaindre ! ) Il essaie de me consoler. «C’est, dit-il, la plus noble fonction de la philosophie, que de mettre en œuvre les maximes des philosophes, que de consacrer ses travaux aux intérêts publics, de faire régner la justice et la paix parmi les hommes. » Voilà, je vous l’avoue, le seul point où son éloquence ne me persuade pas. Je suis

  1. D’un emploi, etc. L’emploi de garde du trésor, que Pline exerça à l’âge de trente-six ans.
  2. A répondre à des requêtes. Il y a dans le latin subnoto libellos, ce qui ne signifie pas signer des requêtes, mais répondre au nom du prince à des requêtes qui lui sont adressées : « Libellos signare sive subnotare dicuntur, dit Forcellini, qui libellis supplicibus principum nomine respondent. »