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LIVRE SIXIÈME.


réellement qu’on peut dire avec vérité : fuyons dans notre chère patrie[1]. Mais comment fuir ? comment s’échapper d’ici ? se demande Ulysse dans cette allégorie qui nous le représente essayant de se dérober à l’empire magique de Circé ou de Calypso, sans que le plaisir des yeux ni que le spectacle des beautés corporelles qui l’entourent puissent le retenir dans ces lieux enchantés. Notre patrie, c’est la région d’où nous sommes descendus ici-bas ; c’est là qu’habite notre Père. Mais, comment y revenir, quel moyen employer pour nous y transporter ? Ce ne sont pas nos pieds : ils ne sauraient que nous porter d’un coin de la terre à un autre. Ce n’est pas non plus un char ou un navire qu’il nous faut préparer. Il faut laisser de côté tous ces vains secours et ne pas même y songer. Fermons donc les yeux du corps pour ouvrir ceux de l’esprit, pour éveiller en nous une autre vue, que tous possèdent, mais dont bien peu font usage.

IX. Mais comment faire usage de cette vue intérieure[2] ? Au moment où elle s’éveille, elle ne peut contempler d’abord les beautés trop éclatantes. Il faut donc habituer ton âme à contempler d’abord les plus nobles occupations de l’homme, puis les belles œuvres, non celles qu’exécutent les artistes, mais celles qu’accomplissent les hommes qu’on appelle vertueux. Considère ensuite l’âme de ceux qui produisent ces belles actions. Mais comment découvriras-tu la beauté que possède leur âme excellente ? Rentre en toi-même et examine-toi. Si tu n’y trouves pas encore la beauté, fais comme l’artiste qui retranche, enlève, polit, épure, jusqu’à ce qu’il ait orné sa statue de tous les traits de la beauté. Retranche ainsi de ton âme tout ce qui est superflu, redresse ce qui n’est point droit, purifie et illumine ce qui est

  1. Voy. Homère : Iliade, liv. i, 27 ; Odyssée, liv. xx, 269. Voy. aussi l’Ennéade I, liv. ii, § i.
  2. Voy. Platon, République, liv. vii, p. 533.