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SIXIÈME ENNÉADE.

première, est supérieur à l’idée, et la splendeur de l’intelligible n’est qu’un reflet de la nature du Bien.

On en trouve la preuve dans ce qui arrive aux amants : tant que leurs yeux restent attachés sur un objet sensible, ils n’aiment pas encore véritablement ; mais dès qu’ils s’élèvent au-dessus de l’objet sensible et qu’ils arrivent à s’en représenter dans l’âme, qui est indivisible, une image qui n’a plus rien de sensible, alors l’amour naît en eux. Ils souhaitent encore contempler l’objet aimé pour calmer l’ardeur qui les dévore ; mais s’ils comprennent qu’il faut s’élever à quelque chose qui soit plus éloigné de toute forme, ils le désirent aussitôt : car ce qu’il y a en eux dès le commencement, c’est l’amour qu’une faible clarté leur inspire pour une grande lumière. La forme est en effet le vestige de Celui qui n’a pas de forme. Celui-ci engendre donc la forme sans avoir lui-même de forme, et il l’engendre quand la matière s’approche de lui. Or la matière est nécessairement fort éloignée de lui, puisqu’elle n’a pas même une des formes du dernier degré. Ainsi, puisque ce qui nous paraît aimable n’est pas la matière qui a été façonnée par la forme, puisque la forme qui est dans la matière vient de l’âme, que l’âme est une forme supérieure, mais inférieure encore à l’Intelligence et moins aimable qu’elle, il faut admettre que la nature première du Beau est supérieure à toute forme.

XXXIV. Ne nous étonnons donc pas que les plus vives ardeurs soient excitées par Celui qui n’a absolument aucune forme, même intelligible, puisque l’âme elle-même, dès qu’elle brûle d’amour pour lui, dépouille toute forme, quelle qu’elle soit, même intelligible : car il est impossible d’approcher de lui tant que l’on considère quelque autre chose. L’âme doit donc écarter d’elle tout mal, tout bien même, en un mot toute chose, quelle qu’elle soit, pour recevoir Dieu seule à seul[1]. Quand l’âme obtient ce bonheur et que Dieu

  1. Ce passage est cité par le P. Thomassin, qui le commente en ces