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LIVRE SEPTIÈME.

cherez de la Forme universelle[1] ; retranchez même la forme qui se trouve dans la raison [dans l’essence] et par laquelle nous distinguons un objet d’un autre, retranchez, par exemple, la différence qui sépare la tempérance de la justice (quoique toutes deux soient belles) : car, par cela seul que l’intelligence conçoit un objet comme quelque chose de propre, l’objet qu’elle conçoit est amoindri, cet objet fût-il l’ensemble des intelligibles ; et, d’un autre côté, si chacun d’eux pris à part a une forme unique, tous pris ensemble offrent une certaine variété.

Il reste à considérer comment il faut concevoir Celui qui est supérieur à l’Intelligence si pleine de beauté et de variété, mais qui lui-même n’est pas varié. L’âme aspire à lui sans savoir pourquoi elle désire le posséder ; mais la raison nous dit qu’il est la Beauté essentielle[2], puisque la nature de Celui qui est excellent et souverainement aimable doit n’avoir absolument aucune forme. C’est pourquoi, quel que soit l’objet que vous montriez à l’âme en ramenant cet objet à une forme, elle cherche toujours au delà le principe qui a donné la forme (τὸ μορφῶσαν (to morphôsan)). Or la raison enseigne que ce qui a une forme, que la forme ou l’idée est quelque chose de mesuré, que par conséquent elle n’est pas une chose véritablement universelle, absolue, belle par elle-même, et que sa beauté est mélangée. Les intelligibles sont donc beaux [mais ils ont une mesure], tandis que Celui qui est la Beauté essentielle (τὸ ὄντως (to ontôs)) ou plutôt la Beauté transcendante (τὸ ὑπέρϰαλον (to huperkalon)) doit n’être pas quelque chose de mesuré, doit par conséquent n’avoir pas de forme, n’être pas une idée. Ainsi Celui qui est la Beauté au premier degré, la Beauté

  1. Ficin nous paraît n’avoir pas bien compris cette phrase.
  2. Il y a dans le grec : ὅτι τοῦτο τὸ ὄντως (hoti touto to ontôs). Nous sous-entendons ϰαλὸν (kalon) après τὸ ὄντως (to ontôs), comme il y a dix lignes plus loin. Ficin traduit d’une manière inexacte : « Ratio vero dictat hoc esse revera nobis amandum. » Creuzer s’est contenté de mettre les mots revera nobis amandum entre crochets sans rétablir le vrai sens.