Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/613

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
552
SIXIÈME ENNÉADE.

y réussir[1]. De même que, pour les autres objets, on ne saurait découvrir celui que l’on cherche si l’on pense à un autre, et que l’on ne doit rien ajouter d’étranger à l’objet qu’on pense si l’on veut s’identifier avec lui ; de même ici il faut être bien convaincu qu’il est impossible à celui qui a[2] dans l’âme quelque image étrangère de concevoir Dieu tant que cette image distrait son attention ; il est également impossible que l’âme, au moment où elle est attentive et attachée à d’autres choses, prenne la forme de ce qui leur est contraire. De même encore que l’on dit de la matière qu’elle doit être absolument privée de toute qualité pour être susceptible de recevoir toutes les formes ; de même, et à plus forte raison encore, l’âme doit-elle être dégagée de toute forme (ἀνείδεος (aneideos)), si elle veut que rien en elle ne l’empêche d’être remplie et illuminée par la nature première (φύσις πρώτη)[3]. Ainsi, après s’être affranchie de toutes les choses extérieures, l’âme se tournera entièrement vers ce qu’il

  1. On peut rapprocher de ce passage les lignes suivantes de Fénelon : « Quand je pense, Seigneur, que tout l’être est en vous, vous épuisez et vous engloutissez, ô abîme de vérité, toute ma pensée ; je ne sais ce que je deviens : tout ce qui n’est pas vous disparaît, et à peine me reste-t-il de quoi me trouver encore moi-même. Qui ne vous voit point n’a rien vu ; qui ne vous goûte point n’a jamais rien senti : il est comme s’il n’était pas ; sa vie entière n’est qu’un songe. » (De l’Existence de Dieu, 1re partie, fin.)
  2. Au lieu d’ἕχον τὰ (hechon ta), nous lisons ἔχοντα (echon ta).
  3. Le P. Thomassin cite ce passage et le commente en ces termes : « Ita præstantissimus philosophus mentem instar materiæ primæ omnibus formis nudari jubet et speciebus, seipsam quoque nescire ; omnibus speciebus quas vel a seipsa, vel ab aliis rebus impressas gerit, exspoliari, ut Deum hac sua nescientia et informitate felicius apprehendat. At inter has formas et species sequestrandas quis non videt esse ipsam quoque sapientiam, justitiam, etc. ? Nam si has servet formas, non erit omnino informis mens et materiae nudae similis. Si has formas servet, non erit in mera nescientia, non seipsam nesciet : nam et ipsa mens quædam vita, et sapientia, et justitia est. » (Dogmata theologica, t. I, p. 214.)