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LIVRE NEUVIÈME.

y a de plus intime en elle ; elle ne se laissera détourner par aucun des objets qui l’entourent ; elle ignorera toutes choses, d’abord par l’effet même de l’état dans lequel elle se trouvera, ensuite par l’absence de toute conception des formes ; elle ne saura même pas qu’elle s’applique à la contemplation de l’Un, qu’elle lui est unie ; puis, après être suffisamment demeurée avec lui, elle viendra révéler aux autres, si elle le peut, ce commerce céleste (ἡ ἐϰεῖ συνουσία (hê ekei sunousia)). C’est sans doute pour avoir joui de ce commerce que Minos passa pour avoir conversé avec Jupiter[1] : plein du souvenir de cet entretien, il fit des lois qui en étaient l’image, parce que, lorsqu’il les rédigea, il était encore sous l’influence de son union avec Dieu. Peut-être même l’âme, dans cet état, jugera-t-elle les vertus civiles peu dignes d’elle[2], si elle veut demeurer là-haut ; c’est ce qui arrive à celui qui a longtemps contemplé Dieu.

[En résumé[3],] Dieu n’est en dehors d’aucun être ; il est au contraire présent à tous les êtres, mais ceux-ci peuvent l’ignorer : c’est qu’ils sont fugitifs et errants hors de lui, ou plutôt hors d’eux-mêmes[4] : ils ne peuvent point atteindre celui qu’ils fuient, ni, s’étant perdus eux-mêmes, trouver un autre être. Un fils, s’il est furieux et hors de lui-même, ne

  1. Plotin fait ici allusion à l’Odyssée, chant XIX, vers 178 : « Minos, admis tous les neuf ans aux entretiens du tout-puissant Jupiter. » Voy. aussi Platon, Lois, liv. I.
  2. Voy. Enn. I, liv. II, § 2 ; t. I, p. 54.
  3. Il paraît y avoir une lacune entre cette phrase et celle qui précède.
  4. Voy. le développement de cette pensée dans Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § xliv, dans notre tome I, p. lxxxvi. Elle se trouve aussi dans Fénelon : « Ô mon Dieu ! si tant d’hommes ne vous découvrent point dans ce beau spectacle que vous leur donnez de la nature entière, ce n’est pas que vous soyez loin de chacun de nous. Chacun de nous vous touche comme avec la main ; mais les sens, et les passions qu’ils excitent, emportent toute l’application de l’esprit… Vous êtes auprès d’eux et au dedans d’eux ; mais ils sont fugitifs et errants hors d’eux-mêmes. Ils vous trouveraient, ô douce lumière, ô éternelle beauté,