Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LIVRE QUATRIÈME.


DU BONHEUR.[1]


I. Si bien vivre (τὸ εὖ ζῇν) et être heureux (τὸ εὐδαιμονεῖν) nous semblent choses identiques, devons-nous pour cela accorder aux animaux le privilége d'arriver au bonheur ? S'il leur est donné de suivre sans obstacle dans leur vie le cours de la nature, qu’est-ce qui empêche de dire qu'ils peuvent bien vivre ? Car, si bien vivre consiste soit à posséder le bien-être, soit à accomplir sa fin propre[2], dans l’une et l'autre hypothèse les animaux sont capables d'y arriver : ils peuvent en effet posséder le bien-être et accomplir leur fin naturelle. Dans ce cas, les oiseaux chanteurs, par exemple, s'ils possèdent le bien-être et qu'ils chantent conformément à leur nature, mènent une vie désirable pour eux. Si nous supposons enfin que le bonheur est d'atteindre le but suprême auquel aspire la nature, nous devons encore dans ce cas admettre que les animaux ont part au bonheur quand ils atteignent ce but suprême : alors la nature n'excite plus en eux de désirs, parce que

  1. Pour les Remarques générales, Voyez la Note sur ce livre à la fin du volume.
  2. Plotin discute ici à la fois les doctrines des Péripatéticiens, des Épicuriens et des Stoïciens. Les expressions dont il se sert : εὖ ζῇν, εὐζωία, εὐπαθεία, ἔργον οἰϰείον τελειουμένον, sont celles mêmes qui étaient propres à chacune de ces écoles. Son début rappelle particulièrement ce passage de l’Éthique à Nicomaque d'Aristote (1, 8, 4) : συνᾴδει τῷ λογῷ ϰαὶ τὸ εὖ πράττειν τὸν εὐδαίμονα · σϰεδὸν γὰρ εὐζωία τις εἴρηται ϰαὶ εὐπραξία.