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Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/225

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PREMIÈRE ENNÉADE.

heureux tant qu’il reste vertueux. Mais, objectera-t-on, s’il reste vertueux sans le sentir, sans agir conformément à la vertu, comment sera-t-il heureux ? Voici notre réponse : s’il se portait bien, s’il était beau, mais sans le sentir, en serait-il moins bien portant, moins beau ? De même, s’il était sage sans le sentir, il n’en serait pas moins sage.

Mais, dira-t-on encore, il est essentiel à la sagesse d’avoir le sentiment et la conscience d’elle-même : car c’est dans la sagesse en acte que réside le bonheur. Si la raison et la sagesse étaient choses adventices, cette objection serait fondée. Mais si la substance de la sagesse consiste dans une essence ou plutôt dans l’essence, si de plus l’essence ne périt ni dans celui qui dort, ni dans celui qui n’a pas conscience de lui-même, si par conséquent l’activité de l’essence continue à subsister en lui, si par sa nature même elle veille sans cesse, il en résulte que l’homme vertueux doit, même dans cet état [de sommeil et d’absence de conscience], continuer d’exercer son activité. Du reste, cette activité n’est ignorée que d’une partie de lui-même et non de lui. tout entier. C’est ainsi que, quand la force végétative[1] s’exerce, la perception de son activité n’est pas transmise par la sensibilité au reste de l’homme. Si c’était la force végétative qui constituât notre personne, nous agirions dès qu’elle agit ; mais ce n’est pas elle qui nous constitue : nous sommes l’acte du principe intellectuel, et c’est pour cela que nous agissons quand ce principe agit.

X. Si l’activité de l’intelligence nous reste cachée, c’est sans doute parce qu’elle n’est pas sentie : car ce n’est que par l’intermédiaire du sentiment que cette activité peut se manifester ; mais pourquoi [même sans être sentie], l’intelligence cesserait-elle d’agir ? Pourquoi de son côté l’âme ne pourrait-elle tourner vers elle son activité avant de l’avoir

  1. Φυτιϰὴ ἐνεργεία : c’est la puissance qui préside à la nutrition et à l’accroissement du corps. Voy. Enn. IV, liv. iii, § 23.