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LIVRE CINQUIÈME.


LE BONHEUR S’ACCROÎT-IL AVEC LE TEMPS[1] ?


I. Le bonheur s’accroît-il avec le temps ?

Non : être heureux ne s’entend jamais que du présent ; le souvenir du bonheur passé ne saurait rien ajouter au bonheur ; le bonheur n’est pas un vain mot, mais un certain état de l’âme : or cet état, c’est quelque chose qui est présent, comme l’est l’acte même de la vie.

II. Comme nous désirons toujours vivre et agir, n’est-ce pas surtout dans la satisfaction de ce désir que l’on doit placer le bonheur ?

Voici notre réponse : D’abord, dans cette hypothèse, le bonheur de demain sera plus grand que celui d’aujourd’hui, celui du jour suivant plus grand encore que celui de la veille, et ainsi de suite à l’infini : ce ne sera donc plus la vertu qui sera la mesure du bonheur [mais la durée]. Ensuite, la béatitude des dieux devra aussi devenir chaque jour plus grande qu’auparavant ; elle ne sera donc plus parfaite, elle ne pourra jamais l’être[2]. Enfin, c’est dans la possession de ce qui est présent, et toujours de ce qui est présent, que le désir trouve sa satisfaction ; tant

  1. Ce livre est comme le complément du précédent : l’auteur y pose et y résout dix questions qui sont destinées à éclaircir quelques-uns des points traités dans le livre iv. — Pour plus de détails, Voy. la Note sur ce livre, à la fin du volume.
  2. Allusion à la doctrine d’Épicure qui attribuait aux dieux seuls le bonheur parfait (Diog. Laerce, liv. x, § 121). Voy. ci-après, § 7.