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Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/243

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PREMIÈRE ENNÉADE.

complètement étranger à toute raison divine est le laid absolu. On doit regarder comme laid tout objet qui n’est pas entièrement sous l’empire d’une forme et d’une raison, la matière ne pouvant pas recevoir parfaitement la forme [que l’âme lui donne]. En venant se joindre à la matière, la forme coordonne les diverses parties qui doivent composer l’unité, les combine, et par leur harmonie produit quelque chose qui est un. Puisqu’elle est une, il faut bien que ce qu’elle façonne soit un aussi, autant que le peut être un objet composé. Quand un tel objet est arrivé à l’unité, la beauté réside en lui, et elle se communique aux parties aussi bien qu’à l’ensemble. Quand elle rencontre un tout dont les parties sont parfaitement semblables, elle s’y répand uniformément. Ainsi, elle se montre tantôt dans un édifice entier, tantôt dans une pierre seule, dans les produits de l’art comme dans les œuvres de la nature. C’est ainsi que les corps deviennent beaux par leur participation à une raison (κοινωνίᾳ λόγου) qui leur vient de Dieu.

III. L’âme connaît le beau par une faculté toute spéciale, à laquelle il appartient d’apprécier tout ce qui concerne le beau, lors même que les autres facultés concourent à ce jugement. Souvent aussi l’âme prononce en comparant les objets à l’idée du beau qu’elle a en elle-même, et en prenant cette idée pour règle de ses décisions. Mais comment ce qui est corporel peut-il avoir quelque liaison avec ce qui est supérieur aux corps ? Comment, par exemple, l’architecte peut-il juger beau un édifice placé devant ses yeux en le comparant avec l’idée qu’il en a en lui ? N’est-ce pas parce que l’objet extérieur, abstraction faite des pierres, n’est autre chose que la forme intérieure, divisée sans doute dans l’étendue de la matière, mais toujours une, quoique se manifestant dans le multiple ? Quand les sens aperçoivent dans un objet la forme qui enchaîne, unit et maîtrise une substance sans forme et par conséquent d’une nature contraire à la sienne, qu’ils voient une