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LIVRE SIXIÈME.

hommes qui ont de l’amour pour des beautés qui ne sont pas corporelles. Que ressentez-vous en présence de nobles occupations, de bonnes mœurs, d’habitudes de tempérance, et en général en présence d’actes et de sentiments vertueux, de tout ce qui constitue la beauté des âmes ? Que ressentez-vous quand vous contemplez votre beauté intérieure ? D’où viennent vos transports, votre enthousiasme ? D’où vient que vous souhaitez alors vous unir à vous-mêmes et vous recueillir en vous isolant de votre corps ? car c’est là ce qu’éprouvent ceux qui aiment véritablement. Quel est donc cet objet qui vous cause ces émotions ? Ce n’est ni une figure, ni une couleur, ni une grandeur quelconque ; c’est cette âme invisible [sans couleur], qui possède une sagesse également invisible, cette âme en qui on voit briller la splendeur de toutes les vertus, quand on découvre en soi ou que l’on contemple chez les autres la grandeur du caractère, la justice du cœur[1], la pure tempérance, la valeur à la figure imposante, la dignité et la pudeur à la démarche ferme, calme, imperturbable, et par dessus tout l’intelligence, semblable à Dieu et éclatante de lumière. Quand nous sommes ravis d’admiration et d’amour pour ces objets, par quelle raison les proclamons-nous beaux ? Ils existent, ils se manifestent, et celui qui les verra ne pourra jamais s’empêcher de dire qu’ils sont des êtres véritables. Or que sont les êtres véritables ? Ils sont beaux.

Mais la raison n’est pas encore satisfaite : elle se demande pourquoi ces êtres véritables donnent à l’âme qui les possède la propriété d’exciter l’amour, d’où provient cette auréole de lumière qui couronne pour ainsi dire toutes les vertus. Prenez des choses contraires à ces beaux objets, et comparez-leur ce qu’il peut y avoir de laid dans l’âme. Si nous découvrons en quoi consiste la laideur et quelle en est la cause, nous aurons un élément important de la solution

  1. Voy. Platon : Banquet, p. 209 ; République, liv. iii, p. 402.