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LIVRE NEUVIÈME.

Or, en se voyant elle-même, elle ne se voit pas inintelligente, mais intelligente. Ainsi dans le premier acte de la pensée, l’Intelligence a la pensée et la conscience de la pensée, deux choses qui n’en font qu’une ; il n’y a là aucune dualité, même logiquement. Si l’Intelligence pense toujours ce qu’elle est, y a-t-il lieu de séparer, même par une simple distinction logique, la pensée et la conscience de la pensée ? L’absurdité de la doctrine que nous combattons sera plus évidente encore si l’on suppose qu’une troisième Intelligence ait conscience que la deuxième Intelligence a conscience de la pensée de la première : car il n’y a pas de raison pour qu’on n’aille ainsi à l’infini.

Enfin, si l’on suppose que de la Raison, qui découle de l’Intelligence, naît dans l’Âme universelle une autre Raison, de sorte que la première Raison constitue un principe intermédiaire entre l’Intelligence et l’Âme, on enlève à l’Âme le pouvoir de penser : car, au lieu de recevoir de l’Intelligence la Raison, elle la recevra d’un principe intermédiaire ; elle n’aura ainsi qu’une ombre de la Raison au lieu de posséder la Raison même ; elle ne connaîtra pas l’Intelligence et elle ne pourra pas penser[1].

II. Ne reconnaissons donc dans le monde intelligible rien de plus que trois principes [l’Un, l’Intelligence, l’Âme], sans ces fictions superflues et inacceptables ; admettons qu’il y a une seule Intelligence, identique, immuable, qui imite son Père autant qu’elle le peut ; puis notre âme, dont une partie reste toujours parmi les intelligibles, une partie descend vers les choses sensibles, et une autre est dans une région intermédiaire [entre le monde sensible et le monde


    intelligence qui se pense elle-même et par une pensée qui est encore elle-même. Ainsi l’être et l’intelligence ne font qu’une même chose : cette chose est la pensée ; et, selon la formule de la Métaphysique, la pensée est la pensée de la pensée. »

  1. Plotin a déjà parlé de cette hypothèse, p. 259. Voy. la Note, p. 522.