Aller au contenu

Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/488

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
347
PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

nous amenons à l’acte ce qui jusque-là n’était qu’en puissant ce qui n’était qu’une simple disposition[1]. »

Ce qui montre combien Plotin est entré ici profondément dans la pensée d’Aristote, c’est que Leibnitz, en s’inspirant de la doctrine péripatéticienne, est arrivé aux mêmes idées et les a exprimées presque dans les mêmes termes :

« La réflexion n’est autre chose qu’une attention à ce qui est en nous, et les sens ne nous donnent point ce que nous portons déjà avec nous. Cela étant, peut-on nier qu’il y ait beaucoup d’inné[2] en notre esprit, puisque nous sommes innés à nous-mêmes, pour ainsi dire, et qu’il y ait en nous être, unité, substance, durée, changement, action, perception, plaisir, et mille autres objets de nos idées intellectuelles ? Ces mêmes objets étant immédiats et toujours présents à notre entendement (quoiqu’ils ne sauraient être toujours aperçus, à cause de nos distractions et de nos besoins), pourquoi s’étonner que nous disions que ces idées sont innées avec tout ce qui en dépend ? Je me suis servi aussi de la comparaison d’une pierre de marbre tout unie ou de tablettes vides, c’est-à-dire de ce qui s’appelle tabula rasa[3] chez les philosophes : car si l’âme ressemblait à ces tablettes vides, les vérités seraient en nous comme la figure d’Hercule est dans un marbre quand le marbre est tout à fait indifférent à recevoir ou cette figure ou quelque autre. Mais s’il y avait des veines dans la pierre qui marquassent la figure d’Hercule préférablement à d’autres figures, cette pierre y serait plus déterminée et Hercule y serait comme inné en quelque façon, quoiqu’il fallût du travail pour découvrir ces veines et pour les nettoyer par la polissure, en retranchant ce qui les empêche de paraître[4]. C’est ainsi que les idées et les vérités nous sont innées, comme des inclinations, des dispositions, des habitudes ou des virtualités naturelles, et non pas comme des actions, quoique ces virtualités soient toujours accompagnées de quelques actions souvent insensibles qui y répondent... l’aperception de ce qui est en nous dépend d’une attention et d’un ordre. Or non-seulement il est possible, mais il est même convenable, que les enfants aient plus d’attention aux notions des sens, parce que l’attention est réglée

  1. Voy. aussi p. 351.
  2. « Lorsque je dis que quelque idée est née avec nous ou empreinte naturellement dans nos âmes, je n’entends pas qu’elle se présente toujours à notre pensée, mais j’entends seulement que nous avons en nous-mêmes la faculté de la produire. » (Descartes, Réponse aux objections de Hobbes contre les Méditations.
  3. Sur la table rase, Voy. p. 334, note.
  4. Voy. la même comparaison dans le livre vi de l’Ennéade I, § 9, p. 111.