XXXIII.[1] L’Intelligence n’est pas le principe de toutes choses : car elle est multiple. Or le multiple suppose avant lui l’Un[2]. Il est évident que l’intelligence est multiple : les intelligibles qu’elle pense ne forment pas une unité, mais une multitude, et ils sont identiques avec elle. Donc, puisque l’Intelligence et les intelligibles sont identiques et que les intelligibles forment une multitude, l’Intelligence elle-même est multiple[3].
Quant à l’identité de l’intelligence et de l’intelligible, voici comment on peut la démontrer. L’objet que l’intelligence contemple doit être en elle ou exister hors d’elle. Il est évident d’ailleurs que l’intelligence contemple (θεωρεῖ) : car pour elle, penser (νοεῖν), c’est être intelligence (νοῦς) ; lui enlever la pensée, c’est lui enlever son essence[4]. — Ceci posé, il faut déterminer de quelle manière l’intelligence contemple son objet. Nous y arriverons en examinant les diverses facultés par lesquelles nous acquérons des connaissances : ce sont la Sensation, l’Imagination, l’Intelligence.
Le principe qui se sert des Sens ne contemple qu’en saisissant des choses extérieures, et, loin de s’unir aux objets de sa contemplation, il ne recueille de cette perception qu’une image[5]. Donc quand l’œil voit l’objet visible, il ne peut s’identifier avec cet objet : car il ne le verrait pas s’il n’en était à une certaine distance. De même, si l’objet du tact se confondait avec l’organe qui le touche, il s’évanouirait. Il est donc évident que les sens, et le principe qui se sert des sens, s’appliquent à ce qui est hors d’eux pour percevoir l’objet sensible.
De même, l’Imagination applique son attention à ce qui est hors d’elle pour s’en former une image ; c’est par cette attention même à ce qui est hors d’elle qu’elle se représente comme extérieur l’objet dont elle se forme l’image.
Telle est la manière dont la sensation et l’imagination perçoivent leurs objets. Aucune de ces deux facultés ne se replie et ne se concentre sur elle-même, que l’objet de leur perception soit une forme corporelle ou incorporelle[6].
Ce n’est pas de cette manière que perçoit l’Intelligence[7] : c’est en se tournant vers elle-même, en se contemplant elle-même. Si
- ↑ Le § XXXIII se rapporte aux § 10-12 du livre III. Il est cité par Stobée, Eclogœ physicœ, I, 51, p. 778.
- ↑ L’Un est la première des trois Hypostases divines. Voy. les Notes, p. 321.
- ↑ Voy. la fin du § XXXIII.
- ↑ Voy. § 6 du livre III.
- ↑ Voy. § 2 du livre III.
- ↑ Voy. § XXXI, p. LXX.
- ↑ Voy. § 6-8 du livre III.