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TROISIÈME ENNÉADE.

plaindre de ce que, condamnés, comme ils le sont, à mourir, ils aient une fin utile aux autres êtres ? Qu’a-t-on à dire s’ils ne sont dévorés que pour renaître sous d’autres formes[1] ? C’est comme sur la scène : un acteur qu’on croyait tué va changer de vêtement, et il revient sous un autre masque. — Mais il n’était pas mort réellement. — Si, mourir c’est changer de corps comme le comédien change d’habit, ou bien encore, si c’est dépouiller tout à fait son corps comme à la fin d’une pièce l’acteur quitte son vêtement pour le reprendre plus tard avec son rôle, que trouve-t-on de redoutable dans cette transformation des animaux les uns dans les autres ? Ne vaut-il pas mieux pour eux vivre à cette condition que de n’avoir jamais été ? La vie serait alors complètement absente de l’univers, et elle ne pourrait se communiquer à d’autres êtres. Mais, comme il y a dans l’univers une Vie multiple, elle produit et elle varie tout dans l’existence ; en se jouant en quelque sorte, elle ne se lasse pas d’engendrer sans cesse des êtres vivants, remarquables par la beauté et la proportion de leurs formes. Les combats que les hommes, ces êtres mortels, se livrent les uns aux autres, avec cet aspect de régularité que présentent les danses pyrrhiques[2], montrent bien que toutes ces affaires regardées comme si sérieuses ne sont que des jeux d’enfants, et que la mort n’a rien de terrible. Mourir dans les guerres et les batailles, c’est devancer de bien peu le terme fatal de la vieillesse, c’est partir plus tôt pour revenir ensuite. Sommes-nous dans notre vie dépouillés de nos richesses, nous devons remarquer qu’elles ont appartenu à d’autres avant nous, et qu’elles forment, pour ceux qui nous les ont ravies, une bien fragile possession, puisqu’ils en seront

  1. Voy. Proclus, De decem Dubitationibus circa Providentiam, § 7 ; t. I, p. 144.
  2. Cette comparaison est empruntée à Platon (Lois, liv. VII, p. 796, 815). Voy. aussi Philon, De la Providence (dans Eusèbe, Préparation évangélique, VIII, 14.)